Terres sialines : Les terres qu’il faut rendre
Par Zouhir Ayadi
(La Gazette du 19 Mai 1975)
L’agriculture est à l’ordre du jour.
PRIMUM VIVERE, disaient les Anciens.
Ce en quoi ils avaient parfaitement raison, et il n’est nul besoin, je crois, d’insister sur le bien-fondé de cette vérité première, toute l’activité des hommes, depuis que le monde est monde, consiste en tout premier lieu à tirer de la terre les produits nécessaires à leur subsistance. Et tout le reste vient après.
Car il s’agit de produire, et encore de produire, pour satisfaire des besoins accrus – et qui ne font que croître – par l’augmentation fantastique du nombre des bouches à nourrir, pour éviter le spectre des famines avec tout leur cortège d’indicibles calamités de toute nature.
Chez nous, il ne se passe presque pas de jour où les responsables, à tous les niveaux, ne mettent l’accent, dans les congrès et ailleurs, sur cet impératif absolu.
C’est parfait, et nous sommes heureux de constater l’intérêt que les sphères officielles accordent au travail de la terre et concomitamment, aux hommes de la terre. Mais il est un problème qui touche de très près ces derniers et auquel il serait nécessaire et urgent de donner la juste solution qu’il requiert. Ce problème, c’est celui de la propriété des terres agricoles.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de ces très nombreuses terres sur lesquelles le défunt Beylic avait mis le grappin, les qualifiant de terres domaniales. Une bonne partie avait servi de pâture à la colonisation, tandis que le reste, terres habous ou effectivement occupées par des tribus ou fractions de tribus, servait aux besoins agricoles d’occupants dont la
situation, pour éviter les litiges entre particuliers ou entre Domaine et particuliers, fut, à différentes reprises notablement clarifiée par ce qu’on appelait, il y a quelques décennies, la Commission de Reconnaissance et de Délimitation des terres sialines.
Je parle ici, évidemment, d’un problème régional que je connais le mieux. Cette Commission, qui s’était à plusieurs reprises transportée sur les lieux, c’est-à-dire dans les campagnes de l’interland sfaxien, avait dressé un inventaire de toutes les parcelles visitées.
Chaque parcelle avait été parfaitement délimitée, numérotée et inscrite au nom de son propriétaire.
Ce propriétaire pouvait louer ou vendre ou s’associer par le système de m’gharesa et qu’il voulait.
L’acte subséquent était soit un acte S.S.P., ou même un acte dressé par des notaires qui instrumentaient très régulièrement, et cet acte liant les parties était reçu par les Services de l’Enregistrement qui faisaient leur office et encaissaient, au nom de l’Etat, les droits exigibles en pareil cas.
Et l’Administration entérinait la chose, se contentant simplement de demander une petite somme d’argent contre délivrance d’un titre de propriété en bonne et due forme qu’on appelait « Titre Vert ».
C’est ainsi que d’immenses étendues de terres incultes purent se couvrir de plantations qui forment aujourd’hui l’imposante forêt d’oliviers de la région sfaxienne, principale source de revenus de l’écrasante majorité
de notre population et l’un des piliers de notre économie nationale.
Malheureusement, depuis quelques années, et l’on ne sait dans quel but précis, les dispositions précédemment indiquées ont été bannies.
Ceux parmi les propriétaires de terres qu’ils avaient données en m’gharesa parce qu’ils n’avaient pas les moyens financiers de les mettre en valeur et avaient partagé avec leurs vis-à-vis, ont été les plus favorisés.
Tandis que ceux qui n’avaient pas encore partagé, ont vu l’Administration se substituer à eux, tandis que la part des récoltes qui devait légitimement leur revenir en toute justice selon les termes des contrats les liant aux m’gharsa, était confisquée !
De ce fait, un mécontentement grandissait est né dans le cœur d’un très large secteur de nos populations rurales qui n’arrivent pas à comprendre.
Leur dépit – je veux être correct – est d’autant plus grand qu’ils constatent que les m’gharesi déjà très puissants, ne font qu’arrondir leur immense fortune à leurs dépens. Car, faut-il le rappeler ces m’gharesi de l’époque que nous vivons ne sont pas les pauvres hères de début du siècle qui se vêtaient d’un « kadroun », montaient un âne et conduisaient un chameau pour « monter à leur houaza » avec pour hiatique quelques pains bis et une poignée de « zamita ».
Au jour d’aujourd’hui, comme disait mon ancien imprimeur, le vieux
Lalou, les m’gharesi sont généralement de gros financiers ou de grands propriétaires fonciers : ils appartiennent aux professions libérales très lucratives, ils sont grands commerçants, ils sont entrepreneurs de T.P.. etc… bref, des brasseurs d’affaires et gens huppés qui ne savent pas
toujours distinguer un pommier d’un poirier, ni un palmier d’un aloès et qu’on appelle très justement les Agriculteurs du Dimanche. Et ces individus ne se contentent pas de la part que leur reconnait le contrat de m’gharça, ils se démènent pour avoir aussi la part du propriétaire. Et ils trouvent parfois, malheureusement, des appuis sur le compte desquels je ne veux pas m’appesantir davantage. Mais malgré leurs avatars, malgré la situation pénible et qui frise la misère où se trouvent beaucoup de ces propriétaires lésés, ils n’ont pas perdu l’espoir.
L’espoir que notre administration, mieux au fait des dimensions du drame qui se joue et de l’injustice qui leur est faite, finira par donner à chacun son dû et à préserver les droits légitimes de chacun pour permettre à chacun de travailler dans la paix, la sécurité et la joie de vivre.
Ils espèrent fermement n’être point frustrés, sous n’importe quel prétexte, de leur bien légitime, et ils comptent beaucoup, pour cela, sur la compréhension et l’esprit d’équité des Dirigeants de notre Département de l’Agriculture avec, à leur tête, notre distingué Ministre. S.E. M. Hassan Belkhouja, dont le dynamisme et le dévouement manifeste à la cause qu’il défend si vigoureusement sont un sûr garant de succès pour la promotion si attendue de notre principale source de revenus qui est la terre.
Et pour la défense des hommes de la terre, lesquels ne doutent pas aussi que leurs vœux légitimes, ici brièvement exprimés par l’un des leurs, ne soient exaucés par le Chef respecté et aimé de notre Etat qui tient par-dessus tout à l’union de tous les citoyens dans la justice. Il s’agit là d’un problème social, d’un problème en main qui requiert la vigilante, la bienveillante attention de tous les hommes de cœur.
Z.A