Le droit à l’eau : un droit fondamental non garanti !
Jihen MATHLOUTHI
Juriste et universitaire de sciences juridiques et politiques
L’accès équitable à l’eau est un droit humain fondamental, mais il reste encore beaucoup à faire pour qu’il devienne une réalité !
L’eau est essentielle à toutes les formes de vie. Il s’agit d’un besoin humain vital, et l’accès à l’eau potable est un droit humain fondamental. Malheureusement, de nombreuses personnes ne disposent toujours pas d’un accès à l’eau propre et sûr, ce qui met leur santé en danger. En effet, il existe un lien indissociable entre l’eau et les changements climatiques qui ont des répercussions complexes sur l’eau dans le monde.
Dès lors, la lutte contre l’appauvrissement de nos ressources hydriques serait une bataille très complexe dont l’issue est totalement incertaine. Alors que les questions de gestion équilibrée de l’eau sont au cœur des débats, la Tunisie vit un épisode de sécheresse alarmant et prolongé. Aggravée par le dérèglement climatique, la pénurie d’eau touche désormais tout le monde. Il s’agit d’une crise mondiale.
Par conséquent, la sécurité de l’eau fait désormais partie intégrante de la sécurité nationale et de la politique internationale de chaque pays. Sans sécurité hydrique, la santé humaine et l’environnement sont en danger, ce qui exige le réexamen du cadre juridique (I) et le changement de la gestion de l’eau pour en garantir l’accès à tous (II).
(I) Réexaminer le cadre juridique du secteur et renforcer sécurité hydrique :
Face à l’enchevêtrement des textes, une rupture conceptuelle et normative s’imposait. L’émergence de l’écologie comme science et comme politique a contribué à cette transformation par une approche plus globalisante, un droit plus programmatique et une gestion plus intégrée de l’eau. L’eau est aussi une question de droits.
D’ailleurs, le droit à l’eau a été consacré comme un droit fondamental par une résolution de l’ONU du 28 juillet 2010 : « le droit à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’Homme ».
Ainsi, les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement ont été reconnus par la Résolution du 28 juillet 2010 (résolution 64/292) de l’Assemblée Générale des Nations Unies dans laquelle il est reconnu que le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme.
Face aux nouvelles données environnementales et à la consommation croissante des secteurs agricoles, industriels et énergétiques, l’Etat a œuvré à mettre en place un nouveau cadre légal régulant la question de l’eau.
En effet, selon la constitution tunisienne, le droit à l’eau est garanti. Il est du devoir de l’État et de la société de préserver l’eau et de veiller à la rationalisation de son exploitation. Ainsi, il incombe à l’État de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution de l’environnement. Aux termes de l’article 48, l’État doit fournir de l’eau potable à tous sur un pied d’égalité, et il doit préserver les ressources en eau pour les générations futures. Néanmoins, « les problèmes d’accès à l’eau ne sont pas encore résolus, parce que, jusqu’au jour d’aujourd’hui, les bonnes décisions n’ont pas été prises ».
Un Code des eaux juste, doit maintenir les dispositions de la constitution tunisienne en ce qui concerne la propriété des ressources naturelles par le peuple tunisien et celles de l’article 48 concernant la garantie de droit à l’eau. Il doit définir les priorités dans le cadre d’un plan de développement alternatif en vue d’assurer la souveraineté alimentaire.
En Tunisie, le Code des eaux promulgué en 1975 a visé à rassembler tous les textes juridiques antérieurs dans un cadre légal unifié. Il s’agit en particulier du décret du 24 septembre 1885 définissant le domaine public de l’eau, celui du 24 mai 1920 relatif à la constitution d’un fonds de l’hydraulique agricole et industriel et d’un Comité des eaux, et le décret du 5 août 1933 régissant la conservation et l’utilisation des eaux du domaine public.
Ce Code a ainsi permis de définir les eaux du domaine public, de surface ou souterraines, telles que les eaux des rivières, de sources, ou relatives à la nappe phréatique. Ces dispositions ont été révisées par la loi du 26 novembre 2001, faisant de l’eau une ressource nationale qui doit être protégée et utilisée de manière à répondre durablement aux besoins de tous les citoyens. Autant rappeler que le code des eaux n’est plus en adéquation avec la situation actuelle, notamment avec les répercussions du changement climatique sur la région méditerranéenne.
Il vise, également, à s’adapter au changement climatique, à préserver et à valoriser les ressources hydriques. En clair, le Code en friche est accusé d’appréhender la question hydrique sous l’angle de la logique économique, en reléguant le volet des droits humains au second plan. Il faut dire que le droit à l’eau, reconnu par la constitution, mais pas garanti pour tous les Tunisiens.
(II) Repenser la gestion de l’eau pour en garantir l’accès à tous :
L’environnement peut contribuer au bien-être de l’homme mais il peut tout aussi bien en accroître la vulnérabilité en engendrant de l’insécurité et en provoquant des migrations humaines lors de tempêtes, de sécheresses ou d’une gestion écologique déficiente.
Avant d’être un problème technique, l’eau est d’abord une question sociale, politique, économique et environnementale. Certes, l’écologie n’est pas qu’un simple discours injecté aveuglément aux promesses électorales, elle doit avoir, plutôt, sa place dans les élections au même niveau que les autres sujets et programmes indispensables de l’Etat. Le dossier de l’eau et sa gestion rationnelle fait partie des questions écologiques cruciales et pressantes.
En fait, le changement du visage environnemental en Tunisie ne pourra pas s’opérer immédiatement, étant donné que les réformes devraient s’accompagner par des changements culturels très profonds qui toucheraient les comportements et les habitudes des citoyens dans leur quotidien. Toutefois, la diplomatie environnementale tunisienne reste timide et apathique et nécessite d’être révisée afin d’entreprendre de meilleures négociations avec les autres pays arabes, africains ou au niveau international.
De la sorte, la situation de l’accès à l’eau inquiète de plus en plus en Tunisie qui fait face à plusieurs problèmes hydriques, notamment en raison de la sécheresse, de la diminution des ressources en eau et de la croissance de la population.
Aujourd’hui, face à l’aggravation de la crise de l’eau provoquée par le changement climatique, les déplacements continus de population dans le monde exigent une réponse réfléchie afin de tirer le meilleur parti d’une situation complexe.
La Tunisie doit gérer la pénurie d’eau qui s’installe depuis des années et qui s’ajoute à l’état déplorable des infrastructures de retenues et de transfert d’eau, notamment des barrages. En fait, nous avons atteint la ligne rouge, ou la ligne de danger en termes de pénurie d’eau. Les barrages sont presque vides, notamment en 2024. Le taux de remplissage des barrages était de 28,3% en janvier 2024, ce qui est inférieur au taux de remplissage de 58% en janvier 2021. Cette baisse est due à une sécheresse prolongée qui a frappé le pays au cours de l’année 2023.
De ce fait, nous avons une responsabilité environnementale et financière liée à nos choix économiques et sociétaux, environnementaux, passés et présents. Et il est urgent de s’activer pour faire changer et transformer ces habitudes vis-à-vis de la consommation, la propreté et l’écocitoyenneté.
De la sorte, traiter l’urgence écologique permettrait non seulement d’assurer une bonne gestion des ressources mais aussi de créer de l’emploi, améliorer le bien-être et la santé de chacun et renforcer les libertés et la solidarité. Les luttes menées pour l’eau, l’air, l’énergie ou encore le climat mobilisent et doivent être suivies de mesures concrètes.
La privation des droits de leurs droits les plus fondamentaux est l’un des problèmes les plus importants auxquels sont confrontées les sociétés dans le monde. Pour cette raison, Il est plus qu’urgent de placer l’environnement au cœur des débats politiques, loin des solutions ponctuelles, des demi-mesures, des politiques attentistes ou des discours mensongers. Car le pire est à craindre.
Afin d’assurer la sécurité hydrique pour tous, il faut mettre en place des mesures radicales et investir à tous les niveaux. Pour cela, il faut d’abord comprendre la valeur que nous accordons à cette ressource rare et la manière dont nous la gérons.
Nous devons changer la manière dont nous voyons l’eau. Son coût réel, sur les plans économique, social et environnemental, doit être intégré à l’ensemble du cycle de vie de toute initiative, qu’elle soit personnelle, professionnelle, industrielle ou environnementale.
De la capacité des décideurs publics et privés à anticiper et à mettre en place, en guise de réponse, une bonne gouvernance de l’eau, cumulant stratégie collective, investissements pertinents et partenariat judicieux, dépendront les facteurs clés de compétitivité de demain.
Jihen MATHLOUTHI