Petite histoire de la presse sfaxienne La Rachdia
Je doid d’abord, en commençant cette rubrique, m’excuser auprès des lecteurs de « La Gazette » pour n’avoir pas été exact au rendez-vous que je leur avais fixé. Ce petit retard est indépendant de bonne volonté.
On sait que l’homme propose et que Dieu dispose.
Mais rien n’est perdu, et pour tenir ma promesse de vous relater l’histoire de la presse sfaxienne, je vais commencer, si vous voulez bien, par vous apprendre que dès le début du siècle, des hommes qui ont vu le jour dans notre ville, avaient pris sur eux de créer des journaux – ce qui était une véritable gageuse – pour défendre les intérêts de notre pays.
Sfax, on le sait, fut, depuis toujours, la citadelle incontestée du patrimoine le plus pur et son attachement aux hautes valeurs humaines est pour ainsi dire un axiome.
Et c’est ainsi que de toutes les villes de Tunisie, c’est la seule qui a tenu tête à l’envahisseur lors de l’occupation du pays par l’armée française et l’agression dont elle fut l’objet de la part des troupes de l’Amiral Garnault.
Les Sfaxiens ont combattu le mieux qu’ils pouvaient malgré les moyens réduits dont ils disposaient et ont ainsi sauvé l’honneur.
Je reviendrai un jour sur cette bataille de Sfax qui a duré dix-huit jours pleins et en ferai le récit aux lecteurs de « La Gazette » en puissant dans les renseignements que j’ai pu avoir sur cet épisode palpitant de notre histoire.
Mais – et c’est là où je voulais en venir – ce sentiment patriotique si profondément ancré dans le cœur des Sfaxiens fit que ceux d’entr’eux qui pouvaient après avoir vu leurs pères jeter leurs « moukahaless » de silex et leur vieux sabres, s’armèrent de la plume pour reprendre le combat sous une autre forme.
Ils ont compris que ce qui a aiguisé la convoitise et l’appétit de l’envahisseur et causé la défait, c’était notre retard sur tous les plans, économique, technologique, culturel.
Et que le seul moyen de rattraper ce retard, c’était d’éveiller les esprits, ces esprits d’une foule amorphe engourdis par des siècles d’ignorance.
Il fallait commencer par le commencement, et le moyen idoine était la création de journaux pour éclairer le peuple sur sa véritable situation pour l’éduquer et l’inciter à suivre le voie du salut par l’apprentissage d’une discipline adéquate.
La tâche n’était pas facile, et il fallait avoir l’âme d’un apôtre pour entreprendre une pareille besogne si l’on sait les difficultés de toutes sortes que l’on devait affronter. Mais aux grandes âmes rien n’est impossible. Et l’une de ces grandes âmes fut, j’y viens, Sidi Hassin Ben Othman, le propre frère de notre regretté camarade Fehmy Ben Othman, ancien correspondant du journal « Asr El Jadid » à Berlin où il faisait fonction de drogman à l’ambassade d’Afghanistan.
Sidi Hassin était capitaine du port, à Sfax et le poste qu’il occupait ainsi était naturellement un admirable point d’observation de l’activité d’une ville qui fut de tout temps, de par sa position géographique, en relation avec toutes les anciennes métropoles maritimes de la Méditerranée.
Il entreprit donc de créer un journal et ce journal, auquel il donna le nom de « Errochdia », commença à paraître en 1903.
C’était un journal quotidien, paraissant sur quatre pages, qui tenait ses lecteurs au courant de tous les événements qui se passaient dans le monde à cette époque et leur apprenait à réfléchir, à juger, à comparer.
J’ai sous les yeux un numéro de ce journal, portant la date du 7 mars 1907, et que je dois à l’obligeance de mon ami M. Mohamed Chaabouni, notre délicat poète sfaxien.
J’y trouve un artificie de fond sur le réveil de la Chine. Déjà depuis cette époque !
C’est le reportage écrit par un correspondant du journal anglais « The Times » où il relate tout ce qu’il a pu observer dans ce grand pays au cours d’un voyage très instructif.
Suit la nouvelle d’une vident cyclone qui avait ravagé une partie de l’Ile de Madagascar et ensuite, la promesse faite par le ministre des Affaires Etrangères de Grande-Bretagne qu’il ferait son possible pour que l’Egypte devienne… indépendante !
Il s’agit, à cette époque, vous l’avez deviné sans doute, de la rendre complètement « indépendante » de la Turquie, afin de pouvoir l’absorber plus facilement : une indépendance calculée, provisoire.
La même politique, exactement, que celle poursuivie par la France avant l’établissement du Protectorat et qui tendait à détacher la Tunisie de la Sublime Porte plaidant « l’indépendance » de la Régence !
On sait le faste dont on a entouré le voyage officiel d’Ahmed Bey en France où il fut reçu comme le souverain d’un pays indépendant, et que ces protocoles calculés avaient soulevé la protestation de la Turquie, puissance suzeraine. Mais ceci, comme dit Kypling, est une autre histoire.
Revenons à « Er-Rochdia ».
On y lit ensuite des nouvelle d’Italie, d’Amérique où un violent séisme avait détruit, en 1906, une grande partie de la ville de San-Francisco, et des localités environnantes, et les incidents qui se sont produits en Californie où la foule s’est opposée à l’entrée des enfants d’immigrés japonais dans les écoles américaines.
Viennent ensuite des nouvelles de Cuba, d’Angletterre, de Russie, du Maroc et de Turquie où le Sultan a refusé de donner suite à une requête des ambassadeurs des
puissances européennes qui demandaient à ce que les navires de ces Etats soient autorisés à franchir les Détroits des Dardanelles le nuit comme ils le font le jour.
Et pour terminer, une chronique locale et la publication de textes de lois et
décrets.
On voit, par cet aperçu, s’il y a de la matière, et si le journaliste avait le souci évident d’instruire ses lecteurs sur la vie politique, économique et sociale dans les divers pays, ce qui ne pouvait qu’ouvrir les esprits et les préparer à une compétition des peus utiles.
Prochainement, la présentation de l’un de nos anciens journaux locaux.
Zohair AYADI