L’écrivaine algérienne Leila Sebbar

L’écrivaine de l’exil et des illusions perdues
Une icône de la littérature francophone depuis une vingtaine d’années, Leila Sebbar, professeur de lettres à Paris et Officier de l’Ordre des arts et des lettres depuis 2016, nous emmène, avec chacune de ses œuvres dans les méandres de sa mémoire, de la mémoire collective des exilés, en relatant dans un style original des histoires alliant la réalité et la fiction.
Ecrivaine française, d’un père algérien et d’une mère française, elle s’est inspirée de son hybridité génétique et de ses origines culturelles mixtes pour remettre en question les relations entre l’Occident et l’Orient. Fréquentant des algériennes exilées en France, elle transmet avec beaucoup d’amertume et de nostalgie leurs souvenirs d’enfance, dans une ambiance mystique, rappelant un passé lointain redoutée… Son enfance refait toujours surface dans ses romans, essais et nouvelles, à travers sa référence récurrente à l’Algérie, son pays natal avec ses controverses, ses gloires, et ses déboires.
Dans son roman, « Le silence des rives », paru en 1993 aux éditions Stock et réédité en 2018, par Elyzad Editions, elle rend hommage à ces femmes algériennes qui attendent depuis des lustres le retour des hommes exilés sur l’autre rive : en France. Sur l’autre rive, un homme qui remontait le cours du fleuve, agonisant, suspendu entre deux dimensions, gisant, dans une chambre blanche, dans l’espoir d’écouter pour la dernière fois les prières de sa mère. Sa mère, des femmes vivent en silence, en guettant l’arrivée des trois sœurs qui lavent les cadavres, symboles de l’imminence de la mort et de la rupture du dernier cordon, du dernier espoir. Dans ce roman, écrit dans des phrases courtes, et parsemées de virgules et des propos juxtaposés, l’écrivaine interroge le silence, en faisant parler les cœurs muets, et les mémoires enterrées.
« Le silence des rives », est un hymne à la vie qui suffoque sur les quais des attentes vaines, un hymne à la femme qui défie la notion du temps et de l’espace, par sa fidélité, sa patience et son attachement aux origines. Leila Sebbar, rend hommage dans ce roman intemporel remportant le prix Kiteb Yacine, aux cris de naissance, et aux derniers souffles de la fin, des souffles saccadés, dispersés, entrecoupés par la mer des souvenirs séparant les deux rives.
Plus récemment, dans son recueil de nouvelles, « L’orient est rouge », l’écrivaine revient sur les mêmes thématiques avec des brefs récits révélant l’affreuseté de la situation sur la rive sud de la méditerranée. L’orient est rouge est un recueil de douze nouvelle, paru aux éditions Elyzad en 2017. L’Orient, cette terre sainte, ce cocon de spiritualité, ce gisement de ressources et de trésors, ce berceau de la renaissance, de la littérature, de l’art et des sciences humaines contemporaines au moment où l’Occident baignait dans les mares de sang pendant les siècles obscurs du moyen âge. Cet orient est aujourd’hui le synonyme de la guerre, de la tyrannie politique, de la misère sociale, de la régression économique, des combats insensés, des révoltes inachevées, et du sang des innocents sacrifiés sur l’autel des tiraillements idéologiques, ethniques, et théologiques.
La femme réapparait dans ses nouvelles comme l’incarnation des rêves, des soupirs, des injustices, de la patience, de l’héroïsme, de la soumission et de la liberté. La femme, martyre et la femme victime qui suffoque, lutte, se laisse emporter, agit et subit, au rythme des aléas de la vie en Orient. Un Orient qui sente le sang, le rouge, face aux nuances séduisantes des couleurs de l’Occident. Leila Sebbar a mis l’accent aussi sur d’autres thèmes comme l’art à l’ère du radicalisme, les fausses croyances et dogmes religieux, le printemps arabe qui boîte, et le passé glorieux qui s’efface… Un recueil de nouvelles émouvant, chargé d’émotions et de douleur, qui dévoile en douceur l’autre facette de l’Orient dans un ton, mélancolique, amer, et pourtant rêveur..
Islam Hadj Sassi