L’hommage du Dr Mohamed Aloulou à la mémoire du regretté Professeur Abdelhafidh Sellami (1936-2021)
الله أكبر، إنا لله و إنا إليه راجعون
Chers confrères, Chers amis, Mesdames et Messieurs.
Nous voilà réunis pour commémorer après plus d’un an, la douloureuse disparition d’un être particulièrement cher à nous tous, notre regretté Professeur Abdelhafidh Sellami, doyen-fondateur de la Faculté de Médecine et premier Chef du Service Chirurgie du CHU de Sfax. C’est avec grande émotion que nous honorons aujourd’hui la mémoire de celui qui fut figure marquante de sa Cité, grand serviteur de son Pays et Géant de la Médecine.
Le temps passé n’a en rien atténué la tristesse que nous ressentons tous. Ceux qui savent combien il m’était proche et cher mesureront la peine qui m’a envahi aujourd’hui d’avoir à parler de lui au passé, lui qui fut – pour moi –le confrère modèle, le fidèle ami, et le grand frère attentionné.
Il me serait difficile pour ne pas dire impossible de résumer dans ce bref témoignage la vie et le long parcours d’un être dont l’œuvre fut immense et intense. Ceux qui l’ont côtoyé dans l’exercice de ses fonctions sont certainement mieux placés pour parler de ses qualités professionnelles et administratives. Quant à moi, c’est partant de simples faits ayant marqué des années de coexistence et d’amitié que je retrouve et que j’aime rappeler la noblesse de son caractère et la profondeur de ses qualités humaines. Qu’on me pardonne d’en parler ici dans les termes de la franchise et du cœur.
J’ai certainement croisé très tôt – sans m’en souvenir – le regretté Si Abdelhafidh Sellami, dès mon enfance au Collège de Garçons des années 50 où il préparait son bac alors que j’étais aux classes primaires.
C’est d’ailleurs là que s’installera le premier siège de la Fac qu’il créera en 1974, lorsque que je l’ai connu pour la première fois; j’étais loin de me douter qu’il allait très vite devenir l’ami intime, le proche confident et le précieux conseiller.
Rentré de Strasbourg en 1973 avec mon diplôme de cardiologie, j’étais résolu à m’installer en libre pratique et à Sfax. Si Abdelhafidh, de 5 ans mon aîné, venait d’être rappelé de Montpellier par le Ministre de la Santé Driss Guiga pour fonder à Sfax (après Tunis) la deuxième Fac de Médecine tunisienne, l’incontestable deuxième ville du Pays. Mais ce choix de Sfax (en fait incontournable) ne tenait pas compte des réticences du Combattant suprême qui tenait à ce que la priorité soit donnée à sa ville natale. Les tractations finiront par retenir la solution d’une troisième Fac de Médecine Sousse et deux Facs (Pharmacie et Dentaire) à Monastir qui finira très vite par abriter la troisième Fac de Médecine du pays.
Dans ce jeu trouble du régionalisme dominant, Sfax avait même failli être éliminée s’il n’y avait eu – entre-autre – l’argument de la disponibilité de Si Abdelhafidh Sellami qui avait accepté sans hésiter de s’installer dans la Cité de ses racines pour y prendre en main l’installation de la nouvelle Faculté. Il avait à l’occasion réuni quelques « médecins de ville », dont moi-même, à la bibliothèque du Service d’Ophtalmo de l’époque pour connaître leurs dispositions à intégrer ou aider la Faculté en herbe; beaucoup exprimèrent leur souci de savoir ce qu’ils pouvaient escompter en retour. Dans ce tour de table où j’ai parlé en dernier, je m’étais contenté de le remercier d’avoir accepté sa lourde charge et de lui y souhaiter plein succès; tout en affirmant maintenir mon choix d’exercer en libre pratique et au Service de Cardio en attaché vacataire, je me déclarais prêt à servir la Faculté naissante sans aucune contrepartie. Il avait certainemement apprécié ma position, et c’est ce jour-là que notre relation d’estime et de sympathie réciproque s’est installée.
On était d’ailleurs membres-fondateurs du Rotary-Club qui vivaient dans une ambiance conviviale confirmant qu’ils étaitent faits pour s’entendre.
Je me souviens qu’à l’Hôpital il m’appelait presque tous les matins à son bureau de chef du Service situé juste au-dessus du Service-Cardio celui où j’exerçais. Même qu’un jour, pour achever une discussion, il m’avait entraîné au bloc et jusques dans la salle où il opérait un patient. Je découvrais alors le magnifique artiste en chirurgie qu’il était et l’aisance perfectionniste avec laquelle il exerçait son art.
Au fil du temps nous sommes devenus de plus en plus proches et complices; n’empêche que je l’ai toujours vouvoyé avec respect et appelé Si Abdelhafidh ou m3allam; ce à quoi il répondait finement « inti el-m3allem »; sur un ton affectueux il me tutoyait et m’appelait « Hamadi »; il était mon aîné.
De tout temps et dans toutes les épreuves je fus à ses côtés; quant à lui, il fut toujours là pour me soutenir quand j’en avais besoin. Etant très respecté des instances politiques aussi bien locales que nationales, il m’a constamment défendu et protégé des brimades que ma valait mon opposition déclarée à la dictature et à ses dérives régionalistes. En cela, il exprimait sa bravoure dans le risque qu’il prenait par son engagement et confirmait son attachement au devoir d’assistance dans l’amitié. (رجّال، صاحب صاحبو و نغّار)
Au fond, il était par nature humain, serviable et généreux; sans attendre l’appel, il se portait au secours de qui en avait besoin, même de celui qu’il ne connaissait pas ou qu’il n’avait aucune raison d’apprécier. Servir et aider autrui était dans ses gênes. Aussi fus-je doublement touché mais nullement surpris lorsque, à l’annonce de son décès, nombre de ses « patients qui connaissaient nos liens étroits « m’ont contacté pour me présenter leurs condoléances et aussi pour me demander le contact de sa famille à laquelle ils tenaient à exprimer directement leur reconnaissance à l’égard de leur sauveur disparu.
Parmi les meilleures et touchantes impressions que je garde de lui, je retiens sa fierté insistante à parler de son père, Haj Ahmed Sellami, le respectable notable du prestigieux Souk-Errabaa. Il le citait en exemple du bon musulman docte et éclairé, comme pour dire qu’il ne faisait que suivre sa voie; lui-même en a certainement hérité la foi inébranlable qui fut pour beaucoup dans le courage et la dignité avec lesquels il a toujours fait face aux épreuves ayant émaillé son destin.
Notre cher et regretté disparu nous laisse un vide énorme.
Sfax et la Tunisie ont perdu l’un de leurs plus valeureux enfants.
Il a incontestablement eu le mérite d’avoir assis une Faculté solide et de renom qui a déjà formé des générations de grands médecins qui se souviennent de lui et qui le citent avec la loyale reconnaissance du disciple envers son valeureux Maître.
Par sa stature et par son œuvre, il mérite aujourd’hui que sa mémoire soit dûment honorée et que son nom soit inscrit aussi bien à l’intérieur de la Faculté qu’il a fondée et mise sur « les rails de l’excellence » que dans la ville qu’il a servie et adorée ainsi que dans le Pays qu’il a honoré jusques au-delà des frontières.
Avec sa valeureuse descendance, il laisse en héritage quatre merveilleux enfants dignes de lui, tous universitaires de haut rang, dont sa fille Dorra et son fils Moncef tous deux Professeurs en Médecine et brillantissimes dans leur spécialité.
A son honorable famille et aux siens chers, en particulier à lalla Aïda son épouse ainsi qu’à ses enfants Dorra, Noura, Jouda et Moncef, je réitère toute ma sympathie et ma solidarité.
Pour ma part, de mon inoubliable grand frère et ami, je garderai le souvenir ému de l’honnête et rigoureux Homme de Science qui aimait l’art et l’humour fins, les belles choses et la vie. Il était passionné de mathématiques sans avoir jamais été calculateur dans son commerce avec autrui. Profondément croyant, à l’image du père dont il était si fier, il fut par sa grande Culture profondément tolérant et attaché aux valeurs morales universelles.
الله يرحمو وينعمو
Dr Mohamed Aloulou
Le 27 Mai à la Faculté de Médecine de Sfax