Mohamed Jammoussi à cœur ouvert

Allier les belles lettres à la musique est une gageure qui semble difficile à réaliser et pourtant notre invité, le doyen des paroliers, compositeur et de surcroît chanteur, Mohamed Jamoussi a réussi cet exploit authentique dans les annales tunisiennes.
Depuis un demi-siècle, la voix et la plume de Jamoussi n’ont cessé en effet de plaire et d’émouvoir tous les férus de ces deux arts et c’est à juste titre, qu’en reconnaissance à son œuvre et son talent créateur, que nous nous faisons aujourd’hui l’honneur de la présenter à nos lecteurs.
La Gazette : Vous êtes issu d’une famille et d’un milieu conservateurs qui sont loin d’accorder à l’art la place qu’il mérite. Comment êtes-vous venu alors au monde de la chanson ?
M. Jamoussi : En effet, à l’époque où je m’étais découvert un penchant pour la musique, l’artiste ne pesait pas lourd aux yeux d’un public qui, essentiellement réaliste el laborieux, ne donnait pas à l’art la considération qui lui est due.
La vie d’un être humain est souvent jalonnée d’obstacles que la nature dresse dans le sage but de permettre à l’homme de prendre conscience de lui-même, découvrir sa volonté, la mettre à l’épreuve afin de déceler sa force d’âme et se réaliser.
C’est pourquoi, loin de m’insurger contre les circonstances contraires qui avaient à cette époque entravé mon élan vers la carrière d’artiste, je loue et bénis les obstacles qui ont servi de tremplin à ma soif de voir et de savoir pour me situer et me trouver.
La Gazette : Cela vous a poussé à émigrer pour fuir l’hostilité d’un milieu méconnaissant…
M. Jamoussi : Effectivement, je suis allé en France, cette France que je connais déjà à travers sa littérature. Paris fut pour moi le monde propice à l’éclosion de mes pensées, à l’épanouissement de mon âme et à la réalisation de mes espoirs.
La Gazette : Quels sont les profits que vous avez tirés de votre séjour assez prolongé à l’étranger ?
M. Jamoussi : Par ouï-dire, on n’accède jamais à la connaissance que l’on acquiert à l’école de la vie. Là, on découvre l’inconnu, on coudoie autrui : on fait des acquisitions et des échanges et, devenu ainsi adulte, on grandit plein de cette vérité que le « moi », loin d’être une entité indépendante, n’est qu’une cellule d’un « tout » immense, insaisissable, infini.
A l’école de la vie, suivant leurs aspirations, des êtres se cherchent instinctivement et l’homme, téléguidé par la résonance que soulève autour de lui sa pensée intime, rayonne de toutes.
C’est ainsi que j’ai découvert des âmes sœurs en France, en Afrique du Nord, en Egypte et en Italie, recueillant ainsi un trésor de pensées à leur source même.
Ce trésor, glané ça et là, constitue mon bien le plus précieux dans lequel je puise tout ce qui peuple ma vie intérieure.
Voyager, c’est donc apprendre et le premier sentiment qui vous anime à l’étranger, c’est le souhait de voir en votre patrie ce qui n’y existe pas encore.
La Gazette : Avec l’avènement de l’indépendance, vous avez décidé de revenir à cette patrie qui vous est chère. Quels sont les mobiles qui vous ont le plus convaincu à y revenir ?
M. Jamoussi : En petites visites espacées, j’ai repris contact avec la terre natale et il faut dire qu’à cette époque rien ne m’encourageait à m’y installer définitivement.
Puis, ce fut l’Indépendance, avec sa prise de conscience et ses espoirs. C’est alors que, répondant au désir du Combattant Suprême, je suis rentré en Tunisie.
La Gazette : Avez-vous réalisé les espoirs que vous avez nourris à votre retour ?
M. Jamoussi : Quelque peu, au gré des possibilités et autant que le permettent les circonstances et l’adversité.