Cher Professeur et ami Mustapha Trabelsi
J’espère que vous allez bien en cette période de confinement et vous souhaite de tout cœur, ainsi qu’à votre famille, santé, longévité et bien-être.
Permettez à un inconditionnel étudiant, ayant la tête bien pleine de questions, qu’elle n’en est faite de bonnes réponses, de vous importuner un peu, au moment où d’autres n’auraient vraiment pas le cœur à l’ouvrage.
Dans ma qualité de chercheur en Journalisme Cross-Média, je voudrais, solliciter votre attention pour un entretien, sur une question qui est à mon sens fondamentale, et qui porte sur la didactique de la littérature et le besoin de vulgarisation.
Hedi Megdiche : Vous êtes spécialiste d’Albert Camus, très connu dans les cercles camusiens, un peu partout dans le monde, vous êtes gradé Professeur Universitaire à la FLSHS, vous dirigez des étudiants en Master comme en Doctorat, codirigez un laboratoire dont vous êtes initiateur de plusieurs colloques… Je dois rappeler que vous êtes passé par l’enseignement secondaire, notamment par le Lycée de Garçons de Sfax, pendant les années 80. Tout d’abord, que vous a apporté le passage par le secondaire et quels souvenirs en gardez-vous ?
Mustapha Trabelsi : J’avais été recruté au lycée Hédi Chaker en 1979 et j’y avais passé 10 ans. Ce passage par le secondaire m’avait marqué. C’était l’occasion pour moi d’apprendre, sur le terrain, la simplification et la vulgarisation des connaissances, acquises à La Faculté des Lettres du 9 Avril, surtout avec des élèves fraîchement débarqués du primaire.
Cette expérience pédagogique m’avait été d’une grande utilité quand j’avais été appelé par la suite à enseigner à l’Université. Les enseignants à l’époque avaient plus de liberté dans le choix des textes et de la démarche pédagogique. Le plus important pour moi, à l’époque, c’était d’apprendre aux élèves, à travers l’enseignement du français, non seulement la maîtrise de la langue, mais aussi le sens du dialogue et l’esprit de tolérance, chose que je retrouve aujourd’hui encore chez d’anciens élèves dans des partis politiques ou des médias influents.
Ce fut l’occasion aussi pour moi de connaître des collègues formidables qui, malgré nos différences idéologiques, entretenons des rapports cordiaux, fondés sur le respect et l’estime.
H.M. : En ce temps de confinement qui oblige la fermeture des écoles comme des universités, la question de l’enseignement à distance fait l’objet d’un débat ditactico-pédagogique, qui prend aussi une tournure politique, au supérieur comme dans le secondaire. Quelle position soutenez-vous par rapport à cette polémique et qu’en est-il de l’enseignement de la littérature à distance ?
M.T. : Dans l’absolu, je suis pour le cours à distance en raison des circonstances particulières par lesquelles passe l’Université tunisienne. La pandémie et le confinement ont coupé les enseignants de leurs étudiants. L’enseignement à distance permettrait de renouer, tant bien que mal, avec la « situation pédagogique » et surtout de permettre aux étudiants, plus autonomes que les élèves du secondaire, de mieux gérer leur rythme de travail. D’ailleurs, ces cours favoriseront l’achèvement des programmes, surtout pour les étudiants du 3 ème cycle.
Mais ces cours à distance ne peuvent pas réussir sans l’autonomie de l’étudiant (avoir accès, sans difficulté, au cours), sa motivation et la présentation, même sporadique, visuelle et auditive de l’enseignant.
H.M. : Suite à la crise sanitaire provoquée par le coronavirus Covid-19, le monde entier, sans exception, se sent pris au piège, ce qui fait que plusieurs iront jusqu’à croire à une attaque bactériologique, microbienne préméditée ? Adhérez vous à la thèse conspirationniste, soutenue par une catégorie d’opinions qui représente, quand même, un quart de la population sondée ?
M.T. : Les thèses conspirationnistes, tant curieuses que cocasses, font partie des fake news ou ce qu’on appelle aujourd’hui « infodémie ». Penser que Covid-19 avait été fabriquée en laboratoire, soit intentionnellement, soit accidentellement, soutenir qu’il s’agit d’un complot juif ou chinois.. renseigne sur l’impensé ou le « mal-pensé », surtout sur notre rapport à la rationalité ou à la modernité. Faute d’une réponse convaincante, d’une conscience des causes du phénomène, de lucidité sur nous-mêmes et sur les explications que nous fabriquons avec les moyens du bord, ce sont cette incapacité et cette vulnérabilité qui, sans arrêt, renforcent la place et le succès de la démarche « complotiste ».
H.M. : Comment expliquez-vous ce regain d’intérêt pour le roman de Camus La Peste ?
Quelle éthique en tireriez-vous de la lecture de cette œuvre ? Qu’est-ce qui fait son actualité ?
M.T. : À chaque drame, son roman symbolique. Au mois d’avril dernier, après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame à Paris, le roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo a connu un regain d’intérêt. Ces temps-ci, la propagation du Coronavirus, couplé au soixantième anniversaire de la mort d’ Albert Camus , prix Nobel 1957, font monter en flèche les ventes de La Peste, chronique de la vie confinée des habitants d’ Oran durant une épidémie de peste, parue en 1947. La Peste, à travers le docteur Rieux, le journaliste Rambert, le jésuite Paneloux… brosse le portrait d’une société confinée, privée de ses libertés fondamentales.
La Peste a aussi une portée morale et humaine : Albert Camus rappelle qu’on est finalement homme par le simple fait de réagir, d’attendre, d’aimer ou de souffrir. « Chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne… »
H.M. : Albert Camus ne fut pas le seul à explorer le mal d’une pandémie, à en faire la pâture de son univers romanesque. Je pense surtout au chef d’œuvre de Jean Giono, Le Hussard sur le toit, à La mort à Venise, de Thomas Mann, à l’Amour aux temps du choléra, de Gabriel Garcia Marquez… Quelle serait la spécificité camusienne, peut-on évoquer une poëtique camusienne ?
M.T. : Au-delà de la description d’une pandémie, La Peste a une valeur allégorique et symbolique. À travers l’épidémie, Camus dénonçait tous les régimes politiques totalitaires qui, sous prétexte de sécurité, font régner la terreur sur les populations civiles et persécutent les partisans de la liberté. Un hommage rendu à ceux qui luttent et mettent leurs vies en danger pour sauver celles des autres ; une lutte contre tout mal mortel (pas seulement contre le nazisme), contre l’indifférence et le silence, contre les opportunistes qui profitent du drame pour s’enrichir, Albert Camus rappelle la condition fragile du « roseau pensant » : « les habitants, enfin libérés, n’oublieront jamais cette difficile épreuve qui les a confrontés à l’absurdité de leur existence et à la précarité de la condition humaine. »
H.M. : Cette crise sanitaire, universellement vécue comme un électrochoc économique et social, fera-t-elle espérer, du moins chez nous en Tunisie, une relance morale et philosophique ? Serions-nous capables de poser les bonnes questions pour tirer les bonnes leçons, notamment sur le rôle de la Recherche scientifique, la nécessité numérique, sur l’importance de la Culture, de l’éducation à l’Art… ou bien nous aurons la mémoire courte ?
Et donc nous devrions désespérer des politiques ?
M.T. : La pandémie qui a provoqué des milliers de morts et obligé les habitants de la planète à se confiner chez eux pendant presque deux mois pourrait être l’occasion d’une réflexion, à la fois éthique et philosophique, sur la condition humaine. Cependant, le changement ne peut pas se faire du jour au lendemain. Qu’on se rappelle le 14 janvier en Tunisie ! Les gens miraculeusement sont devenus disciplinés et respectueux de l’Autre. Je cite deux situations.
La première, je l’ai vécue à l’aéroport d’Orly : j’étais agréablement surpris par l’attitude « citoyenne », patiente et disciplinée des nombreux tunisiens qui s’apprêtaient à rentrer en Tunisie bien qu’il n’y ait qu’un seul vol pour Tunis. La seconde, c’était l’attitude pour le moins inattendue, respectueuse du code de la route à Sfax, les jours qui suivirent le 14 janvier.
Mais très rapidement, on est revenu aux mêmes réflexes et au même désordre. C’est pour dire que la prise de conscience ne peut pas être le fruit du hasard ou du circonstanciel. Elle est plutôt un fait culturel qui se sédimente le long des années, pour ne pas dire des siècles. Notre culture, actuellement, négligeant la recherche scientifique et « l’éducation par l’art », fait de nous des êtres passifs et de simples consommateurs, n’ayant qu’une vision myope de l’avenir.
H.M. : Que pensez-vous des adaptations à l’écran, ou bien en bande dessinée de certaines œuvres d’Albert Camus, telles que l’Étranger, l’hôte.
Le Premier homme, magnifiquement dessinées par Jacques Ferrandez ? Ces œuvres gagneront-elles en signification, ou bien vous y voyez une trahison, un appauvrissement ?
M.T. : Cette question me rappelle une anecdote. L’une de mes anciennes étudiantes est allée chercher à la Maison de France l’adaptation filmique du Grand Meaulnes d’Alain Fournier.
La bibliothécaire l’a informée que le film n’était pas disponible en ce moment et lui a conseillé de commencer par lire le livre. L’étudiante lui a confié qu’elle se contenterait de voir le film pour comprendre l’œuvre.
L’adaptation théâtrale, filmique ou en bandes dessinées d’une œuvre littéraire est une nouvelle création. Chaque genre, littéraire ou artistique, a sa propre spécificité. Beaucoup de camusiens n’ont pas apprécié par exemple les adaptations de la Peste ou du Premier Homme.
Le premier serait une adaptation libre du roman (la scène se déroule sous une dictature de type militaire non identifiée, dans laquelle on pourra reconnaître au choix l’Argentine de Videla ou le Chili de Pinochet mais aussi toutes les dictatures, quelles qu’elles soient, situées en Occident ou en Orient, de droite comme de gauche, avec le même arbitraire, la cruauté, les camps, les règlements absurdes), le second, perturbant l’ordre du texte, aurait plutôt favorisé une lecture politique du drame algérien au détriment d’une lecture autobiographique. En ce qui concerne l’adaptation des récits de Camus en bandes dessinées, Jacques Fernandez reconnait « J’ai jonglé avec ce qui est dans le roman, et ce qui n’y est pas. J’ai condensé, regroupé ou déplacé des scènes », à propos du Premier Homme.
H.M. : Vous arrive-t-il, dans vos cours, de faire appel à des séquences filmiques, à des adaptations radiophoniques de textes de Camus, à des planches de bande dessinée, à un documentaire ? Que pensez-vous du documentaire Les vies d’Albert Camus, de Georges- Marc Benamou, produit par France 3 ? Quelle devrait être la place des médias dans l’enseignement de la littérature ?
M.T. : J’enseigne cette année Noces d’Albert Camus. Il était prévu de projeter le film documentaire de Georges-Marc Benamou et de le discuter avec les étudiants du Master de la Faculté des Lettres de Sfax. La pandémie et le confinement m’ont empêché de le faire. Il m’est arrivé de travailler sur l’aspect pluriel et paradoxal de l’œuvre de Camus. Cette œuvre est aussi le reflet d’un homme cohérent dans ses paradoxes. Le metteur en scène Benamou arrive à retracer cette figure : »En lui, tout se mêle de façon si inextricable : le bonheur et la tragédie ; la misère et la gloire ; les tribunes enfiévrées autant que le silence désespéré sur l’Algérie, les dernières années. Une course vers le bonheur, vers le tragique aussi ».
H.M. : En 1994, j’enseignais à Kébili. Parmi les rares distractions dont on jouissait, à part la lecture, il y avait Antenne 2. Je ne manquais en aucun cas Apostrophe. Bernard Pivot ne contenait pas son émotion face au roman posthume Le Premier homme, présenté par
Catherine Camus, publié, par ses soins, 34 ans après la disparition de son père. Quelques semaines plus tard, grâce à l’un de mes élèves dont le papa était installé en France, je recevais le bel exemplaire. C’était le coup de foudre, un choc poétique, Jusqu’à aujourd’hui.
Le Premier homme est pour moi, le livre le plus abouti, le plus achevé- malgré son inachèvement, à cause de l’accident mortel dont l’auteur fut victime-, J’estime que ce roman dessine le mieux, sans ambages le petit Albert, même caché derrière Jacques Cormery. Et vous, comment avez-vous reçu ce Premier homme, après avoir réalisé votre thèse ou une partie importante de votre thèse ?
M.T. : J’ai commencé dans les années 80 un CAR (l’équivalent d’un mémoire de master de nos jours) sous la direction d’un éminent spécialiste de l’œuvre d’Albert Camus : Jean Sarocchi. Le titre de ce mémoire était « L’échafaud dans l’œuvre d’Albert Camus ». Il m’a offert à cette occasion quelques pages dactylographiées du Premier homme (livre non encore publié à ce moment) et un exemplaire de son livre, interdit de publication à l’époque, « Albert Camus et la recherche du père ». J’étais très ému en le retrouvant un jour à la librairie Gilbert Jeune à Paris. Les événements et le style de l’œuvre renvoyaient de manière oblique à l’une des œuvres autobiographiques sur laquelle je travaillais : L’Envers et l’Endroit. Cette œuvre posthume apportait un éclairage sur le premier texte de jeunesse. Mais je n’avais pas exploité cet ouvrage dans mes recherches car j’étais sur le point d’achever la rédaction de ma thèse qui portait essentiellement sur L’Envers et l’Endroit et L’Exil et le Royaume.
H.M. : Pour le stylicien que vous êtes, pourquoi Camus a-t-il préféré faire appel à un personnage de substitution : Jacques Cormery, pourquoi ne disait-il, pas tout de go : « je » ?
M.T.: Bien que peu enclin à l’autobiographie et cultivant une morale de la pudeur et de la retenue dans ses textes de fiction, Albert Camus fait entendre dans Le Premier Homme un discours vrai sur « une enfance misérable et heureuse ». Ce discours de la vérité renoue en quelque sorte avec le discours de l’Envers et de l’Endroit, comme si les textes écrits entre les deux œuvres n’étaient que des exercices de style : « Un artiste garde ainsi, au fond de lui, une source unique qui alimente pendant sa vie ce qu’il est et ce qu’il dit […] ». Texte non achevé à la mort de Camus lors d’un accident de voiture, l’auteur n’a pas eu le temps d’achever la «fictionnalisation » et d’effacer les traces de l’autobiographie. Camus était conscient que les secrets ne se livrent que dans « la maladresse et le désordre », et souvent trahis « sous un déguisement trop apprêté ». Jacques Cormery, figure postiche de l’auteur, se livre dans ce roman des origines, à une exploration de soi. Mais comme le souligne Philippe Lejeune dans son Dictionnaire de l’autobiographie, l’emploi de la première personne une œuvre n’est pas la marque sine qua non de l’autobiographie.
H.M. : Est-ce qu’il y a vraiment une frontière tangible séparant sa vocation de romancier de sa mission de journaliste ?
M.T. : Je m’intéresse actuellement au Camus journaliste. D’ailleurs, je prépare avec mon ami et compagnon de route Arselène Ben Farhat, dans le cadre des activités du laboratoire que je dirige actuellement, un colloque sur l’écrivain-journaliste. Albert Camus avait rédigé de nombreux articles à Alger républicain et signé pendant quatre ans les éditoriaux de Combat.
Un livre vient d’être consacré à cette dimension : « Maria Santos-Sainz, Albert Camus journaliste, Reporter à Alger, éditorialiste à Paris. Essai, Editions Apogée, 2019 ». Une dimension de son œuvre, encore peu explorée, mérite cependant d’être interrogée, celle le jeu d’interactions et d’influences réciproques entre la littérature et la presse et d’analyser les transferts et surtout la circulation des pratiques journalistiques vers les œuvres narratives, poétiques et dramaturgiques et des pratiques littéraires vers les écrits de presse. D’ailleurs des spécialistes de Camus, comme Jeanyves Guérin et Jacqueline Lévi-Valensi avaient souligné l’intérêt de cette piste.
H.M. : Est-ce que « Philosophe pour classes terminales » phrase prononcée par Jean Paul Sartre, dans l’intention de le dénigrer et lui causer de la peine, n’est pas en fait une apologie, d’un auteur dont la philosophie est imbibée de littérature, ne sait se défaire de la simplicité de l’expression et de la pertinence de l’image ?
M.T. : Albert Camus n’avait jamais prétendu faire de sa pensée un système philosophique cohérent. La formule polémique de Sartre, reprise, comme titre d’un livre, par Jean-Jacques Brochier, Albert Camus, philosophe pour classes terminales en 1970, avait pour intention de réduire la vision du monde de l’auteur de L’Homme révolté à un niveau scolaire. Albert Camus se définissait avant tout comme écrivain, comme artiste – et, pour lui, il n’y a pas de rupture entre la réflexion philosophique et la création littéraire : «On ne pense que par image. Si tu veux être philosophe, écris des romans. », note-t-il dans ses Carnets en 1936. Soucieux d’être compris par ses lecteurs, Camus prend le parti de la fabulation. Sa réflexion sur la révolte, par exemple, se développe dans des textes appartenant à des genres différents : narratif La Peste, dramatique Les Justes, philosophique : L’Homme révolté. Chacun de ces textes qu’il soit, récit, pièce théâtrale ou essai, est l’illustration et le développement de son cogito « Je me révolte, donc nous sommes »
H.M. : Ai-je raison de considérer Albert Camus comme auteur plutôt algérien ? Y a-t-il une guerre de mémoire entre la France et l’Algérie, à propos de ce météore littéraire, Prix Nobel à l’âge de 46 ? Camus n’est-il pas aussi l’ancêtre de Yasmina Khadhra et de Kamel Daoud ?
M.T. : Dans sa lettre du 26 août 1959, Taleb Ibrahim écrit de sa prison de Fresnes : « Si vous n’étiez pas certes notre maître à penser, du moins représentiez-vous notre modèle d’écriture.
La beauté de la langue nous émouvait d’autant plus que nous considérions comme l’un des nôtres ». De nombreux écrivains reconnaissent leur dette envers l’écriture camusienne qui, loin de donner naissance à une littérature exotique, a favorisé une interrogation sur la condition humaine en faisant vibrer les cordes secrètes de la langue. Ce « style magnifiant le pays », comme le rappelle Christiane Chaulet-Achour, n’est pas sans rappeler le style des grands écrivains algériens : Kateb Yacine, Malek Haddad, Kamel Daoud. Ce dernier reconnait dans Le Figaro sa dette envers l’auteur de L’Etranger et confie « Albert Camus continue à nous parler ».
Dans son premier roman, Meursault, contre-enquête (Actes Sud, 2014), Kamel Daoud propose une suite et un détournement de l’histoire à l’un des plus grands classiques de la littérature française contemporaine, L’Étranger de Camus, fondée sur l’un des points aveugles de ce roman : l’absence d’identité de « l’Arabe » tué par Meursault. Yasmina Khadra, de son côté, rend hommage à Camus : « Il avait une vision assez lucide et qui fait de lui justement une espèce de conscience, qui peut déranger d’autres qui ont une autre perception du monde. Quand je lis Camus je n’ai pas le sentiment d’être dans la séduction mais dans l’apprentissage, dans l’émulation, dans l’érudition ». Nés des traumatismes de l’Histoire, des textes des auteurs algériens, comme ceux de Camus, se lisent comme des poèmes de l’exil et du retour aux origines. Il est vrai qu’on avait souvent exacerbé des controverses passées, nourries de malentendus et d’amalgames idéologiques bien connues.
Aujourd’hui, nous assistons au recul de la polémique, révélateur d’un apaisement de la passion, recul qui favorise la redécouverte, au milieu des cataclysmes, des violences et de la peur, d’un chantre des libertés mais aussi de la mesure et des limites. Il connaît aujourd’hui dans le monde, en Algérie en particulier, une vie posthume.
Merci infiniment pour votre complicité et au plaisir de vous voir toujours rayonnant.