« avava inouva » Une voix qui innove
Il y a un peu plus d’un an, on entendait sur les ondes de Radio-Tunis une chanson interprété en arabe par un homme et une femme. On disait que c’était un grand succès en Algérie, mais on ne savait rien de ses créateurs.
Le disque passait régulièrement, puis on ne l’a plus entendu.
Jeudi 10 avril 1975 : le Président de la République Française, M. Valéry Giscard d’Estaing part en voyage officiel pour l’Algérie, le premier depuis l’indépendance. Ce jour-là, tous les organes d’information français commentent l’événement, France-Inter place sa journée sous le signe de l’Algérie, et diffuse un programme spécial consacré au pays visité : interviews, rétrospectives, reportages, musique… Et parmi les chansons algériennes, un disque sorti en 74 et qui eut beaucoup de succès dans les pays du Maghreb. La chanson c’était « Avava Inouva » et elle était interprétée par le groupe kabyle Imazighen Imoula.
Le standard de France-Inter est débordé d’appels : on redemande la chanson et on veut savoir comment ça s’appelle et par qui c’est chanté.
Le disque passe alors plusieurs fois par jour, et il ne tarde pas à être colporté par les autres stations. « Avava Inouva, qu’est-ce que c’est ? – C’est la chanson kabyle qui passe sur France Inter ». C’est de bouche à oreille qu’on se renseigne, car le disque n’est trouvable que dans quelques magasins spécialisés dans la musique africaine.
Devant la demande, « la voix du globe », la maison qui l’a édité décide de faire un nouveau pressage. Mais, entre-temps, les autres maisons de disques françaises, elles, se pressent. Et des versions du tube commencent à être enregistrées. L’un de ses créateurs. Mohamed Idir enregistre chez Pathé-Marconi une nouvelle version en arabe, mais avec un arrangement plus « folk », et, plus proche de la baliade, en fait un slow idéal pour la danse. Sa version, qui est préférée à toutes les autres dans les boîtes, se reconnait à son introduction à la guitare. Barday, en mal cet été de tube inattendu, tente le coup. Sa version, également chantée en kabyle, sonne faux dés les premières mesures : le « sirop » a remplacé la sobriété initiale. On pense bien sûr aux adaptations. En quelques jours, une version française est « fabriquée ». Chaque maison veut son « Avava Inouva ».
l « Etranger » traditionnel (Etats-Unis, Angleterre, etc) n’ayant pas cet été grand-chose à proposer, la seule nouveauté, le « reggae », provenant de la Jamaïque.
Les versions sont mises en vent à l’approche de l’été, mais les deux qui ressortent du tas sont celle de AITMEN (la voix du Globe, on la trouve à Sfax) et de IDIR (Pathé).
AVAVA INOUVA : une très jolie mélodie qui vient grossir le nombre de chansons en langue arabe qui se sont imposées ces dernières années « Habbaïtek bessaïf ». « Shady », « Leili Twil ». « Ya m’raya », et dans une moindre mesure « Zoubidah » (par Nubble-Gum) dernièrement.
Même sans en comprendre les paroles, on se laisse prendre par la magie de ces mots étrange (r)s, par cette façon inhabituelle de les chanter. Par la beauté de la mélodie aux sonorite andalouses. Par la pureté des voix.
Dans une interview à France-Inter, le chanteur français, Maxime Le Forestier (dont la sœur, Catherine, vit au Maroc), envisageait d’enregistrer un disque avec Mohamed Idir début 76.
On pourrait avancer que la percée de la chanson arabe de ces deux
dernières années, en France entre autre, ait été « facilitée » par le succès
obtenu, par des chanteurs comme Demis Roussos, le breton Alan Stivelle, et bien avant, par Enrico Macias. Leurs chansons ont habitué les « oreilles occidentales » à d’autres formes de mélodies, d’autres sonorités, à d’autres arrangements. A cette particularité de moduler les notes, de faire des vocalises.
Le Maroc a ses vedettes internationales avec les Frères Megri, le groupe Jil Jilala, Fayrouz a fait connaître de partout le Liban avec « Habbaïtek bessaïf » slow de toute saison. Et l’Algérie vient de faire un beau carton sur le plan international avec AVAVA INOUVA, en plus du Grand Prix de Cannes.
Et la Tunisie ? Tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a de très bons orchestres. A quand, donc, un tube tunisien qui dépasserait les frontières et partirait à la conquête des capitales étrangères ? Peut-être en novembre 1975, à l’occasion de la visite officielle de M. d’Estaing ?
Raoul-Coco BELLAICHE
La Gazette du Sud du 25 Septembre 1975
Merci Raoul pour cette évocation…
La famille de « La Gazette » t’en est
bien reconnaissante.
AB