Le talentueux Bilel Bouaziz .. ou la nouvelle ère du film Cartoon tunisien
Regarder les films cartoon était, et demeure encore l’un des moyens de loisirs les plus marquants de notre enfance. Sauf que, la plupart des productions que nous avons tant admirées ne sont pas une création tunisienne, ou même pas arabe. Généralement, l’Occident, et récemment le Japon ont envahi le cerveau de notre jeunesse depuis des décennies, par leurs histoires de Disney, par leurs héros de Mangas, par leurs happy-ends : Bref, par une culture qui n’est pas tout à fait adaptable avec la nôtre. L’équation est si simple, si on veut dominer un peuple dans l’ère de la télé et de l’internet, il suffit d’insuffler certaines valeurs et messages sous-jacents à travers les films cartoon, le talent d’Achille des enfants et des plus âgés aussi.
Depuis quelques années, ses courts métrages, ses films de cartoon ont suscité la curiosité de beaucoup de monde, particulièrement les enfants. Notre invité du mois, le jeune Bilel Bouaziz nous a passionnément parlé de son expérience intéressante dans le domaine de la réalisation et de la production des films cartoon. Ecoutons-le :
Un domaine à découvrir
« Mon premier court métrage, remonte au début des années 2000. J’étais encore au collège. Je poursuivais mes études tout en nourrissant ma passion pour le cartoon. En fait, je suis autodidacte. J’ai fait beaucoup de recherches et des essais innombrables pour maîtriser les techniques de la réalisation des films cartoon. Tout ce que j’ai appris n’est que le fruit de l’expérimentation, et des erreurs que j’ai commises et surmontées au fil des années. Malheureusement, ce domaine est quasiment vierge. Encore pire, la réalisation des films cartoon n’est ni enseignée comme une discipline dans l’école de cinéma ou des beaux arts, à l’image de l’Egypte qui a pris le soin d’intégrer cette discipline comme une spécialité à part entière au sein de l’institut supérieur du cinéma. La majorité de ceux qui se sont aventurés dans le domaine en Tunisie, ont fini par lâcher prise après une courte durée, faute d’encouragement de la part de l’Etat et faute de rentabilité en particulier. Qui dit cartoon, dit un investissement important et une cible potentielle. Ce qui n’est pas le cas dans notre pays jusqu’à une époque récente. Depuis plus qu’une quinzaine d’années, j’ai été confronté à cette réalité poursuit-il. Toutefois, j’ai tenu bon et j’ai suivi ma passion jusqu’au bout. Je crois encore qu’on peut créer un marché, le cas échéant, une nouvelle cible s’il n’existe pas. A défaut de besoin, il faut le créer. C’est ainsi que le monde des affaires fonctionne».
De la réalisation des films cartoon à l’enseignement d’une nouvelle discipline
« Ensuite, et à partir de 2012, j’ai entamé une nouvelle expérience : celle de l’enseignement de la réalisation des films cartoon. A l’heure actuelle, j’ai plus que cinq cents élèves dans toute la Tunisie. Une expérience qui ne cesse de se développer et de se généraliser pour concerner un grand nombre des gouvernorats. D’autant plus, que le ministère de la culture m’a sollicité dans un projet national baptisé ; « Réalise un film cartoon », financé par la Caisse nationale de la promotion de la littérature artistique, avec un budget de vingt mille dinars. Ce projet consiste dans l’enseignement de la réalisation des films cartoon dans tous les gouvernorats de la Tunisie à raison de quatre séances dans chaque maison de culture intéressée, dans l’objectif de vulgariser cette nouvelle culture, dans le milieu scolaire. A travers ces séances, les élèves, vont s’inspirer du patrimoine naturel et culturel locaux pour créer, réaliser un film d’animation. C’était déjà le cas pour les premières séances qui ont eu lieu à la maison de la culture de Kerkennah. Les jeunes participants se sont inspirés de la mer, de ses secrets, et du poulpe spécialement, symbole emblématique de l’archipel. Pour ce faire, nous avons, tout d’abord, procédé à la découverte, et l’apprentissage des principales techniques basiques pour ensuite passer à la réalisation proprement dite ».
Les vertus de cet apprentissage
« Les intérêts de ce projet sont incontournables, et de différents ordres. De prime à bord, outre le fait que le cartoon reste un moyen de loisir et une source de distraction, il est aussi un moyen important permettant d’instaurer une nouvelle culture, qui tient compte des spécificités culturelles de chaque région, voire de chaque nation. Par conséquent, il permet de lutter contre la démagogie des produits importés, puisque l’enfant qui s’implique dans la réalisation du cartoon, finira par saisir que ce qu’il regarde réellement, n’est qu’une réalisation faite par quelqu’un d’autre qui voudrait lui transmettre un message précis. En résultat, l’enfant sera non seulement un consommateur, mais un réalisateur, et un être doté d’un nouvel état de conscience et d’un esprit critique développé. Les super-héros, ne seront plus des créatures surnaturelles. Ils ne sont qu’une fiction créée par un réalisateur. Et tant qu’il s’agit d’une fiction, tout le monde pouvait l’imaginer, la concevoir à sa manière et lui attribuer les qualités et les vices qu’il voulait. A cet égard, le potentiel imaginatif de l’enfant sera renforcé davantage. Dans le monde de l’imaginaire, on peut défier les lois de la nature. Tout y est possible, tout y est permis: On peut voler, on peut visiter les astres ou parler aux animaux etc… »
« Dans un ordre plus réaliste, la réalisation des films cartoon est une expérience permettant à l’enfant de découvrir de nouveau son corps, ses mouvements, à travers ce qu’on appelle: la psychomotricité.
Pour simplifier, l’enfant visualise en ralenti les différents mouvements nécessaires pour marcher par exemple, les inclinaisons des membres du corps impliqués, dans un ordre chronologique bien déterminé. Le respect de cet ordre, sur papier, sera similairement extrapolé en réalité et inversement. Chaque seconde d’animation est la succession de vingt quatre images, quasiment identiques, légèrement différentes. De ce fait, l’enfant doit procéder à la réalisation d’un grand nombre d’images, conçues avec beaucoup de minutie, de patience et de performance.
Certes, il y a des logiciels qui permettent de mieux sophistiquer et peaufiner leurs réalisations. Justement, j’aimerai bien que les premiers pas dans le domaine, soient en premier lieu faits sans l’intervention de ces logiciels. Le cartoon, à mon avis, doit être « handmade » à la base. La digitalisation, est une étape ultérieure qui ne doit être franchie qu’après la maîtrise parfaite des aspects manuels ».
A chaque court métrage, une histoire à part..
« Je n’ai pas jusque-là, réalisé une série Cartoon. J’ai à mon actif, 35 courts métrages. A chacun sa propre histoire :Hajouja, Palestine, la Tunisie, des spots publicitaires etc…Ce qui compte pour moi, c’est que le message sous-jacent à ces films cartoon soient effectivement transmis. Récemment, j’ai collaboré avec le collège Saltnia avec Mme Asma Gafsi, professeur de Français avec pour thème la fable dans le cadre d’un projet de réalisation d’un film cartoon permettant l’exploitation de l’art. Actuellement, c’est au collège Habib Achour Bosten que sera la prochaine collaboration pour réaliser un spot en langue anglaise pour la promotion du tourisme en Tunisie. Mises à part, ces collaborations et le projet susmentionné sous la tutelle du ministère de la Culture, une série cartoon 100% tunisienne sera bientôt réalisée dans l’espoir que ce domaine si ambitieux prenne un nouvel élan…».
Eslem Hadj SASSI