Écrire pour exister
« L’éducation est un acte d’amour, donc un acte de valeur », une des plus belles phrases de Paulo Freire sur l’enseignement. L’auteur de la Pédagogie de l’autonomie est l’un des penseurs les plus influents au monde intellectuel, ses réflexions sur les méthodes d’enseignement sont inédites et libératrices de tout rapport hiérarchique et vertical entre enseignant/apprenant. Sa méthode nous fait penser le parcours de l’enseignante Erin dans Écrire pour exister, un film dramatique américain écrit et réalisé par Richard La Gravenese, sorti en 2007. C’est l’histoire d’une jeune enseignante d’anglais, inexpérimentée qui se trouve devant une classe multiculturelle où les élèves l’ignorent et se regroupent en clans. La tension étant insoutenable, elle tente d’apaiser la violence qui règne dans sa classe par des moyens pédagogiques.
Si la réalisation et le côté technique ne sont pas exceptionnels, le scénario, inspiré d’une histoire vraie, se démarque par son engagement dans l’éducation et pousse à réfléchir sur le rôle de l’enseignant pour améliorer l’habileté intellectuelle de l’élève et l’aider à se libérer.
Il s’agit de l’adaptation du livre The freedom writers Diary, écrit par la professeure Erin Gruwell. Une œuvre composée de différents journaux intimes que l’enseignante a demandé à ses élèves d’écrire sur les troubles de leur passé, leur présent et comment pensent-ils leurs futur.
Contexte historique
Il est important de présenter le contexte historique pour mieux comprendre les enjeux et le défi de l’enseignante. Ça se passe aux Etats Unis, pendant les émeutes de Los Angeles en 1992 et la guerre entre les gangs pour défendre des territoires. Les premières images du film sont des actualités qui rappellent le contexte par quelques images d’archives de reportage et de journaux télévisés sur les émeutes.
Le lycée dans lequel enseigne Erin, jouée par Hilary Swank, est à l’image de cette banlieue où la violence est maîtresse. Dans cet établissement scolaire se côtoient toutes les origines sociales et ethniques mais il existe un énorme contraste entre les classes d’élite et les autres classes avec des difficultés. L’engagement qui anime Erin Gruwell est sans surprise puisqu’elle est la fille d’un ancien militant du mouvement des droits civiques des afro-américains avant l’assassinat de son leader, le pasteur Martin Luther King le 4avril 1968, détail qui permet de comprendre l’engagement éducatif et le militantisme de la jeune enseignante.
L’engagement d’Erin et sa méthode d’enseignement
Quand Erin découvre sa classe, elle est confrontée à des règles strictes de différentiation. Les adolescents appartiennent tous à des groupes, un gang ethnique entre des noirs, blancs, latinos, asiatiques et autres. Chaque groupe veut marquer son territoire. Les frontières sont vite établies par la disposition des tables par exemple pour bloquer toute possibilité de dialogue entre les groupes d’élèves.
Erin décide d’intervenir et de prendre en main la classe considérée ‘‘irrécupérable’’ par la direction administrative du lycée mais l’ambiance reste tendue malgré ses efforts d’approcher les élèves.
Afin de mieux connaître ses élèves, l’enseignante tente une méthode qui se base sur plusieurs étapes.
Connaissance des élèves et de leur langage
L’enseignante s’approche petit à petit des élèves en leur proposant des activités qui les attire et liées au contexte dans lequel ils vivent. Par exemple : pour enseigner la poésie et pour les motiver à lire et à écrire des textes, elle choisit une chanson du genre ‘‘rap’’ avec des paroles qui traduisent les revendications des jeunes noirs et latino-américains et leurs lutte contre le racisme. Son approche ne se contente pas d’une simple transmission de savoir mais vise à instaurer un nouveau rapport avec ses élèves qui se base sur la confiance et la revalorisation des apprenants, de leurs savoirs propres et leur façon d’appréhender le monde et le réinventer, ce qu’appelle Freire, la pédagogie de l’opprimé.
L’éducation dialogique et ses effets éducatifs
Un incident mineur, une caricature raciste en circulation dans la classe fait le déclic et donne à Erin l’occasion de créer la transformation et de libérer le dialogue avec les jeunes en soulevant la question du respect des différences et le combat du racisme. Comme le dit Freire « Le but de l’éducateur n’est plus seulement d’apprendre quelque chose à son interlocuteur, mais de rechercher avec lui, les moyens de transformer le monde dans lequel ils vivent »
La libération des élèves par l’écriture
Erin propose à ses élèves de rédiger des journaux intimes dans lesquels chacun raconte sa propre histoire afin de se libérer de leur position d’opprimés et de victimes et partager leurs expériences de vie. L’enseignante se rend compte que les jeunes élèves ont subi de vrais horreurs dans leurs vies familiales (violence, abus, meurtre, racisme…). Certes, l’écriture a un pouvoir libérateur. Écrire aide à accepter ses émotions et à se projeter. C’est ce qui a poussé les jeunes à dépasser leurs blocages.
Pour tenter de créer un sentiment de cohésion, Erin leur fait comprendre que la douleur est partagée par tous et que la douleur humaine est présente dans divers exemples dans l’histoire et les invite à lire les mémoires d’Anne Frank. Ainsi, chaque personne se sent concernée par la peine de l’autre, sa souffrance et son destin.
Après le succès de cette expérience de partage, l’enseignante pousse ses élèves à prendre l’initiative dans divers projets et les encourage à les organiser. Ainsi, ils se sentent motivés et fiers de leur accomplissement, c’est le cas quand ils décident d’inviter Mme Gies et organiser une conférence à l’école.
La pédagogie de la libération
La pédagogie suivie par l’enseignante a transformé la résistance des élèves et a finit par instaurer un rapport de confiance qui s’est développé dans le temps entre l’enseignante et les apprenants. Son engagement et son intérêt réel envers les élèves a eu un impact positif sur leurs parcours scolaires mais a transformé aussi leurs vies personnelles et leurs perspectives futures.
Au fond, Ecrire pour exister est un film sur le pouvoir de changer sa vie. Il nous rappelle que tout est possible si nous avons un but à atteindre. D’après l’expérience d’Erin, l’espoir renaît qu’il est toujours possible d’agir pour aider les jeunes avec une pédagogie appropriée. Malgré toutes les contradictions et toutes les différences, ces jeunes, ont pu dépasser leurs problèmes de discriminations raciales et construire un climat d’acceptation et ont pu travailler ensemble.
De plus en plus, l’enseignant se sent déconnecté des réalités de ses élèves, la non communication et le non intérêt des jeunes en classe crée une rupture et des blocages qui ne cessent de se creuser entre les professeurs et les élèves.
En effet, le film dénonce les solutions instaurées par l’école et l’administration basées sur la discipline et l’obéissance d’un côté et la punition et l’exclusion de l’autre, ce qui ne font qu’alimenter davantage la violence et la rébellion.
Si le projet d’Erin a fini par convaincre c’est parce qu’il se base sur des principes fondamentaux et porte en lui des valeurs profondes comme le respect de l’autre dans sa différence, le non jugement et la responsabilité. Dans son ouvrage pédagogie de l’autonomie, il aboutit à cette réflexion : « L’enseignant doit partir de l’expérience sociale vécue par les élèves quotidiennement, donc le dialogue entre l’enseignant et les apprenants constitue la pratique centrale qui permet le passage de la conscience naïve à la conscience critique ».
L’objectif de la pédagogie de la libération est de permettre d’analyser la réalité sociale en prenant conscience des rapports sociaux inégalitaires qui l’organise. C’est cette prise de conscience qui arme intellectuellement les opprimés pour les aider à transformer le monde.
D’après le film, inspiré de l’expérience d’Erin Gruwell nous avons bien un exemple concret de la pédagogie de la libération et son effet thérapeutique sur les jeunes.
Le vrai combat se passe bien dans les classes !
Souffle inédit
Écrire pour exister / Majida Boulila