Rachid Mnif, un caractère et une conviction !…
Il n’est pas inintéressant de rappeler que la vie n’est qu’un voyage paradoxal à parcourir collectivement, non sans plaisir, dans le but de faire face continûment à de multiples épreuves existentielles. Un voyage généralement enthousiasmant et passionnant, aussi.
Perdre quelqu’un qui nous quitte subitement pour un monde meilleur provoque un moment de vérité permettant de lire son voyage à lui, et d’en tirer des leçons.
Quid d’un parcours très particulier et qui est manifestement porteur d’idées nouvelles ou de projets à intérêt collectif? Il s’agit, alors, de non seulement valider des enseignements, mais surtout d’approuver une véritable reconnaissance.
Le voyage de Rachid Mnif en fait un bon exemple.
Le gourou du social:
Figure éducative singulière et père-fondateur de l’agir humanitaire, Rachid Mnif, ancien président de l’U.T.A.I.M de Sfax (l’Union Tunisienne d’Aide aux Insuffisants Mentaux) est décédé le soir du 2 novembre 2020, à l’âge de 89 ans.
Il était instituteur profusément distingué à l’école Tahdhibia dans les années cinquante. Pour combler le vide provoqué par le départ de son père, Rachid Mnif avait sacrifié ses rêves pour allouer ses précieux temps de jeunesse aux services de ses proches immédiats et intimes en allant travailler trop jeune.
Rachid Mnif est décédé, Allah Yerh’mou, en cédant place à ses « fidèles » dauphins, ceux qui reconnaissent bien son agir authentique jadis originel, original et « révolutionnaire » !… Mais, alors là, il quitte ce monde sans aucun bruit, en toute paix sereine et en parfaite douceur.
Rachid Mnif était effectivement l’un des acteurs chevronnés de la société civile, celle qui agit et interagit suivant une dynamique amplement humanitaire et extrêmement humaine. Une telle dynamique qui est bien marquée dans l’Histoire sfaxienne et fort marquante à l’échelle internationale.
L’initiateur culturel:
Dans l’expérience sagement vécue dans l’enseignement primaire, Sy Rachid opérait, en tant que « instituteur-moderne », loin de l’orthodoxie éducative statique. Faire vivifier ainsi sur terrain une approche pédagogique autre était, sans nul doute, une révolution en soi.
Rachid Mnif y croyait vraiment. Il ne pouvait guère accompagner le mouvement ordinaire ou classique. Il était loin d’être fanatique. Il était exceptionnel selon les dires de ses compagnons proches.
Avec Taher Cheriaa, Sy Rachid installait dans les écoles des ciné-clubs destinés naturellement aux élèves. Une excellente initiative focalisée sur une éducation culturelle bien « révolutionnaire », favorisant le développement de l’esprit critique des enfants, d’une part, et d’autre part, l’enracinement d’une civilité alternative garnie d’arts et de manières.
À l’époque, l’idée était de ne pas rater l’occasion de faire comprendre aux élèves que l’instituteur n’est pas seulement un éducateur oisif, mais il est notamment un accompagnateur culturel et un coach social. C’était le principe phare de Sy Rachid.
Aux ciné-clubs des écoliers, le jeune instituteur avait mis en œuvre aussi des clubs culturels et sportifs. Il croyait fort à l’importance de la musique, du théâtre, de la peinture, des jeux interclasses, des activités sportives dans le « développement personnel » des élèves. Il avait donné de la vigueur à toute initiative permettant aux élèves de participer à leur formation et leur culture générale.
Au lycée technique 9 avril 1938 et au lycée Habib Maazoun à Sfax, Rachid Mnif œuvrait en sa qualité de surveillant général comme un patriote déterminé dès le démarrage des cours, depuis plutôt le déroulement journalier du salut au drapeau. Il contrôlait attentivement le respect des lycéens quant à cette mini-solennité matinale.
Ses yeux surveillaient le sérieux et le calme de ces jeunes. « Serrez les rangs », c’était sa phrase-témoin comme si on se rapprochait d’une bataille nécessitant la mobilisation patriotique des jeunes-citoyens. La bataille des connaissances et des sciences, celle d’une nation.
Dans sa mission éducative noble, Rachid Mnif était en réalité un éveilleur patriotique et assurément sympathique.
Le fondateur de l’U.T.A.I.M de Sfax:
Le jour où Yvon Jutard s’est adressé à Sy Rachid, l’Union Tunisienne d’Aide aux Insuffisants Mentaux de Sfax commençait à voir le jour.
En effet, ce prêtre franco-tunisien, natif de Sfax, proposait à lui de créer ensemble cette association pour s’occuper des enfants ayant des insuffisances mentales.
Autrefois, la mission n’était pas évidente, ni sans risques. Étant conscient des difficultés socioculturelles, Sy Rachid avait fini par admettre la proposition d’Yvon Jutard après une latente hésitation et il passait merveilleusement à la création de l’U.T.A.I.M de Sfax après celle de Tunis et de Gabès. C’était en 1968.
Yvon Jutard, Abdelkader Mnif, Moncef Mseddi, Taoufik Ben Ayed et bien d’autres membres fondateurs étaient aux côtés de Sy Rachid dans l’installation d’une telle structure agissant au siège de La Chaâbia, un ancien dortoir situé à la rue Aziza Othmena qui est à proximité du centre-ville.
Son épouse Rouhia Abid Mnif, l’éminente institutrice, contribuait elle aussi à cette lancée humanitaire par des enseignements ciblés et destinés aux insuffisants mentaux gratuitement. Avec des équipements d’occasion, les activités de l’U.T.A.I.M démarraient quand-même avec toutes les difficultés du monde et elles se réalisaient de façon périodique en accueillant les enfants ciblés. Rachid Mnif insistait tout le temps sur la périodicité honorée des actions orientées aux enfants et notamment à l’encadrement personnalisé de leur famille dans le but de garantir soutien et communication.
Petit à petit, les familles intéressées arrivaient à comprendre que la vocation de l’association de Rachid Mnif était tellement noble que ses actions convergeaient vers, et l’éducation sociale et culturelle des insuffisants mentaux, et l’intégration des enfants et jeunes dans une sociabilité convenablement guidée par l’intermédiaire des éducateurs spécialisés. Ces derniers étaient fort engagés et surtout solidement formés dans des pays développés ayant de pareilles expériences réussies. Une confiance et une technicité étaient bien établies.
Selon Yvon Jutard et Moncef Mseddi, Rachid Mnif était combatif à fond. Il veillait à ce que les activités soient réalisées périodiquement, au moins une fois par semaine, pourvu que les insuffisants mentaux gardent toujours contact avec leurs éducateurs et leur nouvel espace de vie, malgré les manquements multiples et l’insuffisance des moyens.
Ce n’est qu’avec Tijani Makni, le maire de Sfax durant la période allant de 1975 à 1980, que les nouveaux équipements débarquaient aux locaux de l’U.T.A.I.M.Bien entendu, le rayonnement de l’association et la persévérance de Rachid Mnif, et celle de son équipe, ne peuvent que convaincre les responsables centraux, régionaux et locaux de s’impliquer, eux-mêmes, volontiers dans le processus humanitaire et particulièrement dans l’approche psychosociale de l’association.
Sy Rachid assurait par sa détermination le soutien de l’État et des pouvoirs publics. Même les entrepreneurs de la région contribuaient, de temps à autres, dans le financement de certains projets, voire dans l’investissement. Les efforts gigantesques déployés par Sy Rachid ont fait gagner à l’U.T.A.I.M le temps, l’espace et les fonds nécessaires pour créer au cours d’une bonne décennie huit centres dans le Grand-Sfax, et pour affecter un bon nombre d’éducateurs, dont la majorité était payé par le Ministère de l’éducation nationale, et des ouvriers et agents d’exécution. Toute une culture était enracinée et des projets grandioses étaient réalisés durant. D’ailleurs, l’U.T.A.I.M disposait de nombreux fonciers, qui sont généralement offerts par les autorités, facilitant bel et bien le montage des projets de recherche et de développement innovants.
Rachid Mnif ne cédait point à la première fatigue. Beaucoup de projets étaient alors valorisés au point où l’école nationale des ingénieurs de Sfax en bénéficiait. Effectivement, les projets pilotés par Rachid Mnif rapportaient de la valeur ajoutée à la formation et l’apprentissage des insuffisants mentaux, et aussi à la mobilisation des ressources propres pour l’association et ses radiants centres. Autre initiative demeurant spectaculaire et intéressante était la contribution de Sy Rachid au développement du sport des handicapés mentaux et personnes à mobilité réduite en Tunisie. Justement, l’U.T.A.I.M de Sfax participait de manière remarquable aux jeux paralympiques organisés en 1996 à Atlanta aux États-Unis d’Amérique, par la présence active de Rachid Mnif, en sa qualité de chef de la délégation tunisienne. Ces jeux étaient marqués effectivement par la participation de trois sportifs ayant remporté deux médailles.
Il ne nous reste ainsi qu’à valoriser ces acquis et persévérer dans les bonnes directions qui sont déjà vigoureusement dessinées par les grands.
Hichem Elloumi
Novembre 2020