Sfax, la ville martyre
139 ans après les événements de juillet 1881
Le protectorat français imposé au Bey de Tunis le 11 mai 1881 et signé le 12 mai 1881, n’était que le début d’une longue résistance de la part du peuple tunisien à l’époque, qui n’a pas facilement cédé devant la colonisation française. Le sud tunisien, a fait preuve d’une résistance acharnée malgré le décalage des forces militaires. L’une des dates les plus marquées est sans doute celle du 16 juillet 1881, une journée qui reste, à n’en point douter, une date noire dans l’histoire de la Tunisie, nous rappelant la prise de Sfax et l’un des événements les plus meurtriers de l’histoire coloniale française au XIXème siècle. Les chiffres indiquent 900 martyrs sfaxiens, 38 morts parmi les soldats français et 106 blessés…
Un séminaire annuel pour rendre hommage à la Résistance sfaxienne
Chaque année, Sfax se remémore de cette date en essayant de retracer, voire de rectifier le fil de l’histoire pour que les jeunes d’aujourd’hui se rappellent et reconnaissent les sacrifices de leurs ancêtres. Cette année correspond au 139ième anniversaire de la bataille héroïque de Sfax. A cette occasion, Docteur Farouk el Mechri, a organisé en collaboration avec l’ingénieur Zaher Kammoun, activiste civil dans le domaine de la culture et de l’histoire de Sfax, un séminaire au Café Balkis à Dar Baya en coopération avec docteur Naceur Ben Arab. Les interventions ont été d’une richesse et d’une pertinence indéniable embrassant plusieurs thématiques, notamment Sfax et la mer (Mr Wajdi Errkhis), l’histoire de l’exploitation des coquillages à sfax (Mr Adel Jammoussi), les causes du choix du colon français de la ville de Sfax (Dr Farouk Chaabouni), le poète Ahmed Mallek( Mr Adel Kammoun), Les événements effroyables du 25 juin 1881 (Zaher Kammoun), des flashes de la médina de Sfax (Dr Naceur Ben Arab). Des interventions illustrées par des photos, des documents et des extraits de la presse tunisienne et internationale retraçant l’histoire glorieuse d’une résistance incommensurable de la ville de Sfax face à l’intrusion de la marine française suite à la signature du pacte de Bardo le 12 mai 1881.
Un mouvement de réformes avortées
Pour revenir sur les grandes dates de la deuxième moitié du XIXème siècle, il faut rappeler qu’il y avait eu plusieurs tentatives de modernisation du pays. A ne citer que l’abolition de l’esclavage par Ahmed Bey le 23 janvier 1846, vingt ans presque avant l’abolition de l’esclavage aux Etats Unis (18 décembre 1865), le pacte fondamental en 1857 reconnaissant aux étrangers plusieurs droits économiques et sociaux, et la Constitution de 1861, étant la première Constitution dans le monde arabe. Malheureusement, plusieurs hauts cadres de l’Etat tunisien durant cette période n’étaient pas honnêtes. En résultat, face aux déficits et à la pénurie des ressources, le Bey tunisien a dédoublé les impôts déclenchant ainsi un vaste mouvement de révolution en 1864 (la révolte de Ali Ben Ghedhahem ou bien encore « Mechri et Assal à Sfax ). Malgré les tentatives de réformes menées par Khaireddine Pacha, la Tunisie n’a pas tardé de tomber sous le protectorat français, suite à l’incursion en Algérie des bergers des tribus Kroumirs, une Algérie déjà colonisée depuis un demi-siècle déjà…
Les Sfaxiens s’opposent au protectorat :un héroïsme sans bornes
Quoique Ahmed Sadek Bey ait ordonné aux Tunisiens d’accepter pacifiquement le pacte du Bardo et l’entrée de l’armée française en Tunisie, cela n’était pas assez évident pour plusieurs régions notamment le Sud Tunisien et Kairouan. A sfax, les habitants ont opposé une résistance farouche face à l’entrée de l’armée française dans la ville, ce qui a donné naissance à la déclaration de l’indépendance de la ville, qui ne relève plus du pouvoir du Bey mais plutôt du Sultan Ottoman, une ville indépendante avec son propre drapeau et son nouveau Bey Mohamed Kammoun. Plusieurs étrangers habitant les Rbat el Kebli (actuellement Beb Diwan et les cent mètres) se sont précipités pour quitter Sfax par voie de mer craignant la réaction des Sfaxiens. Le déclic eut le 25 juin 1881 lors des affrontements agressifs entre les sfaxiens et les habitants de ce Rbat el Kebli. Plus de 50000 militaires français ont envahi Sfax au cours du mois de Juillet 1881. La médina de Sfax est restée plusieurs jours sous bombardement, les combats avaient eu lieu au cœur de la médina, dans ses ruelles, ses mosquées et ses maisons. Les événements des 15-16 juillet 1881 demeurent ancrés dans la mémoire collective sfaxienne. Une ville dont les clés ont été prises comme butin restées 136 ans exposées au Musée de la marine à Paris, avant d’être restituées en 2017 à la Municipalité de Sfax..
Eslème Hadj Sassi