Zaher Ellouze Le plus jeune conseiller municipal à Sfax
A l’âge de 23 ans, le jeune Zaher Ellouze est déjà conseiller municipal depuis 2018 au sein de la municipalité de Sfax. Une implication précoce mais très remarquable dans la vie politique.
Son impressionnant parcours, n’a rien à voir avec son âge. Dés son enfance, il était un enfant doué, bibliophile passionné par la philosophie, la sociologie. Bref, par les sciences humaines d’une manière générale. Autrement dit, en ces temps où les autres enfants préfèrent lire des livres de fiction, ou jouer à la marelle, il a fait ses premiers pas dans le chemin du savoir. Un savoir qui a pu forger ultérieurement sa forte personnalité et imprégner ses attitudes audacieuses.
Le premier revirement : des livres poussiéreux trouvés chez un bouquiniste
« Un jour, j’étais chargé avec un ami de travailler dans le magasin d’un ancien bouquiniste, et là j’ai déniché un trésor précieux. Une pile de livres imprimés dans l’Union soviétique. Et c’est ainsi qu’avait commencé mon engagement idéologique. Un événement phare dans ma vie. Au lycée, j’ai été renvoyé pour cause de création d’un syndicat pour les élèves, une activité syndicale en quelque sorte clandestine qui m’a coûté cher puisque j’ai dû quitter le lycée. Ensuite, j’ai ai obtenu mon baccalauréat, en tant que libre candidat. Un défi gagné avec mention. J’étais intéressé par les sciences économiques et surtout les différentes acceptions de l’économie: l’approche capitaliste et l’approche socialiste, la notion du panier d’achat, etc. J’ai rejoint donc l’Ecole de Commerce de Sfax. Néanmoins, j’avais du mal à « digérer » certaines idées qui cadrent mal avec ma perception personnelle. Du coup, j’ai changé de spécialité : De l’économie à l’Ecole de Commerce à la publicité graphique à l’Institut supérieur des arts et métiers de Sfax. En fait, j’avais déjà un penchant pour les arts graphiques. D’ailleurs, j’ai fondé ma propre entreprise avant même d’obtenir ma licence. Mes connaissances théoriques acquises à l’université ont été tour à tour concrétisées sur le plan pratique. Je tiens à préciser que je fais tout au sein de mon entreprise. Je travaille seul, parce que je n’aime pas être subordonné à quiconque… En d’autres termes, ce n’est pas de l’individualisme, mais plutôt une intime conviction que la relation professionnelle entre les gens ne doit pas être hiérarchique ».
La première expérience sur terrain : représentant des étudiants dans le conseil scientifique de l’ISAMS
« A l’ISAMS, j’ai refondu le bureau fédéral de l’UGET. Cette expérience est l’une des plus édifiantes pour moi, dans la mesure où elle m’a permis de me lancer corps et âme dans le travail syndicaliste. La défense des causes d’autrui, en particulier les plus faibles est à mon avis une mission noble et indispensable pour que les valeurs auxquelles je crois soient effectivement concrétisées. Ainsi, j’ai été élu représentant des étudiants au conseil scientifique pendant deux ans successivement, par la quasi-unanimité des voix. Ni mon engagement politique, ni ma mission syndicale, ni mon travail ne m’ont empêché d’exceller dans mes études. Et j’ai ainsi obtenu ma licence, avec mention très bien et aussi le premier à l’échelle nationale en ma spécialité. J’ai appris à bien gérer mon temps. Tout est planifié à l’avance ».
L’Union communiste des jeunes tunisiens : Une étape cardinale incontournable
« En 2015, j’ai adhéré à l’Union communiste des jeunes tunisiens. Une école dans laquelle j’ai appris le véritable sens de l’engagement, l’importance de l’organisation et la nécessité d’avoir une seule boussole. Certes, chacun a sa propre vision, ses propres convictions, mais quand il est question de prise de décision, nous laissons à part nos différences et nous adhérons à la même cause. L’unité de prise de décision, dans la diversité des opinions. De cette manière, il y aura une harmonie au sein de l’organisation. Cette perception doit être transposée au niveau de l’Etat en tant que macro-organisation. Malheureusement, depuis la révolution, on vit dans une anarchie décisionnelle. En l’absence d’une vision globale et d’une volonté de faire prévaloir l’intérêt général, il est difficile qu’on atteigne le progrès escompté, et qu’on prenne la situation en main. Nous avons beaucoup de partis politiques, beaucoup de courants idéologiques. Sauf que cette hypertrophie de la scène politique peut être pathologique si elle n’a pas pour finalité le développement du pays et la mise en œuvre réelle des objectifs de la révolution. Une révolution avortée, malheureusement… J’étais très actif au sein de l’Union communiste des jeunes tunisiens. Et en 2018, j’ai présenté ma candidature, pour les élections municipales. Cette candidature a été retenue par « le parti des travailleurs » et je me suis trouvé, suite à une campagne électorale réussie (et dont nous payons encore les dettes), élu conseiller municipal. En ce temps-là j’étais en deuxième année faculté. C’était fatigant mais ça a valu le coup. Grâce à la compréhension et l’encouragement de la plupart de mes enseignants, j’ai pu exceller pendant mon cursus universitaire et concilier entre mes différentes occupations professionnelles, syndicales et politiques ».
Le conseil municipal de Sfax : Des attitudes polémiques …
« Une nouvelle expérience, et surtout une grande responsabilité qui s’ajoutent à mon parcours. Un cadre qui réunit des conseillers appartenant à des couleurs politiques différentes, et dont les relations ont été toujours conflictuelles. Au début, j’ai trouvé ça un peu étrange, mais je me suis habitué au fil des réunions. On doit tous veiller à l’intérêt de la région, en mettant à côté nos conflits idéologiques. Les rapports doivent être respectueux et pacifiques autant que possible et nos objectifs ne doivent pas virer vers la satisfaction de certains intérêts personnels ou secondaires. L’un des premiers débats tendus concernait le budget municipal. A mon avis, il y a des priorités devant lesquelles on doit s’incliner. Ces priorités sont intimement liées aux intérêts des citoyens, à leurs droits sur lesquels on veille et pour la garantie desquels ils nous ont élus. Par conséquent, tous les frais qui ne concourent pas à la satisfaction des intérêts des citoyens constituent un gaspi !
La discussion du budget municipal, est souvent au cœur des tensions au sein du conseil et donnant naissance à des débats acharnés dans les médias.. Naturellement, l’électeur qui nous a choisis pour veiller sur ses intérêts doit être en connaissance de ce qui se passe entre les murs de la municipalité, tant que la loi lui donne le droit d’assister, de discuter, de proposer et de critiquer évidemment en cas de mauvaise manœuvre ou de fausse route. On n’a pas encore cette culture de transparence et d’acceptation de l’autre. La vie politique est un chemin ardu, qu’on traverse péniblement mais à pas sûrs, tant que notre boussole est fixe, notre objectif est désintéressé. A vrai dire, on fait tous de notre mieux, mais chacun à partir de sa vision. Cela n’empêche, il faut être digne de cette responsabilité et l’assumer convenablement, en assistant aux réunions, en exprimant mes points de vue et en m’assurant que tout le monde ait accès à l’information ».
Une participation effective et efficace avec la police environnementale
« Depuis quelques semaines, j’ai rejoint la police environnementale de Sfax et ce parallèlement avec le confinement sanitaire global. Les agents de la police n’ont pas toujours le courage de s’approcher des entreprises ne respectant pas les règles d’hygiène ou des mesures légales. Le soutien des conseillers municipaux est indispensable. Nous avons visité les grandes surfaces, les restaurants, les salons de thé et les cliniques. Malheureusement, nous avons trouvé beaucoup de produits périmés, encore commercialisés, ainsi que des produits alimentaires cancérogènes. La vente de ces produits constitue une infraction dangereuse puisqu’elle met en péril la santé publique. Le danger est partout, d’autant plus qu’il n’est pas uniquement d’origine virale, mais aussi d’origine humaine et éthique. J’aimerais juste faire allusion que je fais ça volontairement et à titre bénévole par amour du devoir sans rien attendre de la part des autres, je ne demande aucune contrepartie, parce qu’en fin de compte, ça fait partie de mon devoir de citoyen averti et de conseiller municipal vigilant. Il faut juste que le citoyen soit coopératif et compréhensif. Il arrive parfois aussi que nos tentatives de contribuer effectivement dans la lutte contre la corruption, quelle que soit sa nature ou sa source, ne sont pas très soutenues pour des raisons et pour d’autres, pourtant, on est élus, entre autres pour faire ça. N’est ce pas ?! »
De nouveaux horizons à découvrir : la sociologie par exemple.
« Après l’obtention de ma licence, et quoi que je sois lauréat à l’échelle nationale, ma candidature de mastère n’a pas paradoxalement été retenue à l’ISMAS. Il est clair que mon activité syndicale n’était pas très appréciée par certains. Quoi qu’il en soit et après de très longues tractations, nous avons trouvé un compromis.. J’ai cédé ma place à d’autres candidats et c’est réglé. J’aimerais bien étudier la sociologie l’année prochaine à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Sfax. Une discipline passionnante et très utile pour l’enrichissement de mes acquis et de mes expériences.
Enfin, je tiens à saluer tous les travailleurs, tous ceux et toutes celles qui luttent au quotidien pour gagner leur pain et pour vivre avec dignité, toutes les victimes des injustices sociales et économiques, la classe moyenne qui suffoque, les enseignants qui réclament leurs droits, et toute personne qui fait de son mieux pour vivre et laisser vivre les autres. Je suis fier de moi, de mon petit parcours déjà riche d’expériences, de mes sacrifices fructueuses et de mes échecs, somme toutes constructifs ».
Esleme Hadj Sassi