Le cerveau dévoilé comme jamais grâce à l’IRM le plus puissant du monde, une première mondiale française
Des scientifiques français dévoilent pour la première fois au monde une série d’images de cerveau obtenue avec le scanner IRM Iseult, doté d’un champ magnétique inégalé. Avec des images 10 fois plus précises que celles des appareils IRM implantés dans les hôpitaux, il sera possible de mieux comprendre donc mieux diagnostiquer des maladies neurodégénératives comme Alzheimer et Parkinson.
Une IRM (imagerie par résonance magnétique) est un examen de radiologie qui utilise un appareil émettant des ondes électromagnétiques, grâce à un gros aimant. Soumis à ces ondes, les atomes d’hydrogène composant les tissus de l’organisme se mettent à vibrer. Ils émettent alors des signaux, captés par une caméra spécifique et retranscrits en images sur un écran d’ordinateur. Comme l’explique l’Assurance maladie à ce sujet, l’IRM est un examen indolore, permettant d’obtenir des images de l’intérieur du corps humain, en 2 ou 3 dimensions. On le prescrit pour visualiser tous les organes, en particulier les tissus « mous » (cerveau, moelle épinière, viscères, muscles), analyser leur structure, rechercher des malformations ou encore mettre en évidence une tumeur et connaître sa taille exacte. Par exemple, ce dernier peut donner des informations sur l’anatomie du cœur (taille d’un infarctus, maladies du muscle cardiaque) et sur son fonctionnement (débit, oxygénation) mais aussi, au niveau cérébral, sur une hémorragie et la formation d’un hématome, une ischémie (organe ou une partie d’organe privé de sang).
Et dans ce domaine, il s’avère que la France annonce se donner du scanner IRM présenté comme le plus puissant du monde. Son nom : Yseult, utilisée par le Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives (CEA) pour fournir certaines des plus belles images anatomiques de cerveau. Selon l’organisme, le projet du même nom a pour but de « construire le scanner IRM le plus puissant au monde pour imager à un niveau de résolution jamais atteint le cerveau, sain ou pathologique, et découvrir de nouveaux détails sur son anatomie, ses connexions et son activité. » Des chercheurs du CEA ont utilisé pour la première fois cette machine pour scanner une citrouille en 2021. Mais les autorités sanitaires leur ont récemment donné le feu vert pour des humains. C’est ainsi que, selon l’Agence France Presse, une vingtaine de volontaires en bonne santé sont devenus les premiers à entrer dans l’appareil situé sur le plateau de Saclay au cours de ces derniers mois. À l’intérieur d’un cylindre de cinq mètres de long et de haut, la machine abrite un aimant de 132 tonnes alimenté par une bobine transportant un courant de 1 500 ampères.
« Avec cette machine, nous pouvons voir des détails du cervelet jusqu’à présent presque invisibles »
Lors de la présentation du dispositif, les chercheurs affirment « avoir constaté un niveau de précision jamais atteint auparavant au CEA. » Le champ magnétique créé par le scanner est de 11,7 teslas, unité de mesure nommée en l’honneur de l’inventeur Nikola Tesla. « A 11,7 teslas, l’IRM Iseult, le seul actuellement en fonctionnement à cette intensité, fournit un réservoir de signaux et contrastes entre les tissus biologiques qui permet une exploration plus fine du cerveau. », précise le CEA. La résolution des images obtenues se distingue par un temps d’acquisition très court : 0,2 mm dans le plan et 1 mm en profondeur, soit un volume équivalent à quelques milliers de neurones seulement. A titre de comparaison, pour un même résultat d’image, il faudrait plusieurs heures sur un IRM à l’hôpital (1,5 ou 3 teslas), irréaliste pour le confort du patient d’autant que ses mouvements « brouilleraient » l’image. « Avec cette machine, nous pouvons voir les minuscules vaisseaux qui alimentent le cortex cérébral ou des détails du cervelet jusqu’à présent presque invisibles. », affirme auprès de l’AFP Alexandre Vignaud, physicien travaillant sur le projet.
Or, le cervelet et ses ramifications est une région du cerveau, essentielle au contrôle de la fonction motrice et aux fonctions cognitives supérieures, qui intéresse beaucoup les scientifiques. Et pour cause : des anomalies de structure pourraient être associées à des troubles psychiatriques (schizophrénie, troubles bipolaires…), c’est pourquoi son étude avec Yseult devrait permettre d’apporter un regard nouveau sur cette région et son rôle dans ces maladies. Il s’agit plus généralement, grâce à ces résolutions aussi fines, d’accéder à des informations sur les neurones jusqu’ici inatteignables, et de comprendre comment le cerveau encode nos représentations mentales et apprentissages, ou encore de découvrir quelles sont les signatures neuronales de l’état de conscience. L’un des principaux objectifs d’un scanner aussi puissant est en effet d’affiner notre compréhension de l’anatomie du cerveau et des zones activées lorsqu’il exécute des tâches particulières. Les scientifiques ont déjà pu constater que lorsque le cerveau reconnaît des éléments particuliers, tels que des visages, lieux ou des mots, des régions distinctes du cortex cérébral se mettent en marche.
Mieux comprendre les maladies neurodégénératives
Ainsi, Nicolas Boulant, directeur scientifique du projet, estime auprès de l’AFP que « le fait d’exploiter la puissance de 11,7 teslas permettra à Iseult de mieux comprendre la relation entre la structure du cerveau et les fonctions cognitives, par exemple lorsque l’on lit un livre ou effectue un calcul mental. » Mais les détails qui seront obtenus avec Iseult auront aussi et surtout des applications dans le domaine de la recherche médicale. En premier lieu, les informations anatomiques ultra-fines participeront à établir un meilleur diagnostic et une meilleure prise en charge de maladies neurodégénératives (maladies chroniques progressives qui touchent le système nerveux central) telles que la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer ou encore la démence à corps de Lewy. Ces dernières sont considérées comme un véritable enjeu de santé publique étant donné que le nombre de personnes concernées a considérablement augmenté au cours des dernières décennies et devrait croître de manière régulière dans les années à venir en raison du vieillissement progressif de la population et de l’absence de traitements curatifs.
Les chercheurs espèrent ainsi que la puissance du scanner pourrait faire la lumière sur les mécanismes insaisissables à l’origine de ces maladies ou de troubles psychologiques comme la dépression ou la schizophrénie. « Par exemple, nous savons qu’une zone particulière du cerveau, l’hippocampe, est impliquée dans la maladie d’Alzheimer. Nous espérons donc pouvoir comprendre comment fonctionnent les cellules de cette partie du cortex cérébral. », atteste explique Anne-Isabelle Etienvre, Directrice de la Recherche Fondamentale au CEA. Les scientifiques espèrent également comprendre comment certains médicaments utilisés pour traiter le trouble bipolaire se répartissent dans le cerveau. C’est notamment le cas du lithium : « il sera ainsi possible d’évaluer précisément sa distribution dans le cerveau et de mieux comprendre son efficacité. », note l’équipe scientifique. D’autre part, Iseult pourra faciliter la détection de signaux faibles tels que ceux de petites molécules impliquées dans le métabolisme cérébral, comme le glucose et le glutamate. Ce type d’informations contribuera à la caractérisation de nombreuses pathologies cérébrales (gliome, neurodégénérescence…).
Toujours est-il que les patients ordinaires ne pourront pas utiliser le puissant pouvoir d’Iseult pour voir l’intérieur de leur propre cerveau dans un avenir proche. La machine n’est pas destinée à devenir un outil de diagnostic clinique, mais les chercheurs espèrent que les connaissances acquises pourront ensuite être utilisées dans les hôpitaux. S’ajoute à cela le fait que la machine ne sera pas utilisée sur des patients souffrant de pathologies pendant plusieurs années. Dans les mois à venir, une nouvelle génération de patients en bonne santé sera en revanche recrutée pour subir un scanner cérébral. « Avec Iseult, c’est un monde inconnu qui s’ouvre devant nous et nous avons hâte de l’explorer. Plusieurs années de recherche vont être encore nécessaires pour développer et améliorer nos méthodes d’acquisition et garantir des données de la meilleure qualité possible. C’est à l’horizon 2026-2030 qu’on cherchera à explorer certaines pathologies neurodégénératives, mais aussi des maladies qui relèvent davantage de la psychiatrie, comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires. Sans oublier les sciences cognitives ! », conclut Nicolas Boulant.